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Nous vivons une crise sans précédent de la confiance en la parole de toute autorité. Sans précédent, parce que systématique, voire systémique, au sens où ce sont les conditions de définition de la vérité elle-même qui sont revisitées ; la responsabilité de celle-ci passant des « sachants » aux « pairs » rencontrés sur les réseaux sociaux. La pandémie a été l’acmé (provisoire) de cette crise : des doutes (parfois teintés de complotisme) sur les mesures de politique sanitaire à ceux sur la composition et l’efficacité des vaccins. L’alimentation n’est pas en reste, les récents scandales Buitoni et Ferrero renforçant la méfiance vis-à-vis des industriels, en particulier les plus gros et les plus lointains.
C’est la raison pour laquelle l’attente y est désormais forte pour une transparence quasi-totale. Composition, origine, procédés de fabrication, coûts, conditions de travail, marges, etc. : c’est l’ensemble de la chaîne de valeur qui devrait se rendre transparente au consommateur pour qu’il accorde sa confiance. Aiguillés par les consommateurs et certaines startups, tous les industriels sont désormais obligés de réagir et c’est tant mieux. Mais la référence au « Surveiller et punir » de Foucault peut aussi nous alerter face au fantasme d’un consommateur « panoptique » qui surveillerait tout ce qui se fait et punirait par son portefeuille les mauvais élèves.
Pourtant, cette transparence ne peut fonctionner sans éducation du consommateur. Il ne suffit pas d’avoir les informations, encore faut-il savoir les comprendre et les évaluer. C’est bien sûr vital pour les entreprises, au risque de toutes les mauvaises interprétations et des effets de mode. Ça l’est aussi pour le consommateur. Sinon, c’est à lui que revient la décision et donc la responsabilité de ses choix. « Vous vous nourrissez mal : c’est votre faute puisque toute l’information est à votre disposition » (les personnes en surpoids sont déjà parfois confrontées à ce jugement). Avec la transparence, la charge mentale et la responsabilité passent du producteur au consommateur. C’est donc tout l’enjeu d’une véritable éducation à l’alimentation.
Mais il est utopique de penser que tous les consommateurs pourront et voudront devenir nutritionnistes et ingénieurs agro. D’autre part, le secret des affaires fait que tout ne peut pas être mis sur la place publique, ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas accepter pour les industriels d’être plus transparents sur leurs procédés, leurs coûts et leurs marges. Il me semble alors que deux voies sont possibles, qui tournent autour de la notion de « tiers de confiance ».
La première est de mettre en place des tiers crédibles pour faire le travail d’évaluation et le retransmettre aux consommateurs. On peut imaginer une mixité entre les infos disponibles et rendues compréhensibles par l’éducation et celles qui ne le seraient pas publiquement, mais seraient évaluées par ces tiers. Les pouvoirs publics n’étant plus perçus comme crédibles, ce sont les applications, les associations de consommateurs, les journalistes (quand ils n’instruisent pas uniquement à charge) qui sont appelés à tenir ce rôle.
La seconde est la « co-construction ». On connaît en politique les tentatives de « conventions citoyennes » pour co-élaborer la décision publique (à condition d’en retenir le travail). La co-construction par un industriel de son offre avec une « convention de consommateurs » pourrait permettre de crédibiliser celle-ci, même si tout n’est pas ensuite mis sur la table. À une double condition : que les consommateurs retenus soient eux-mêmes représentatifs et indépendants et qu’ils disposent d’une transparence totale pour leur travail. L’exemple du fonctionnement de « C’est qui le patron » me paraît ouvrir une voie intéressante : tous les consommateurs ne sont pas impliqués, mais ceux qui veulent le peuvent et une fois le produit créé, un consommateur intéressé n’a pas besoin d’aller contrôler l’ensemble des éléments de la proposition puisque des « pairs de confiance » l’ont fait à sa place.
C’est dans ces deux pistes que je vois les conditions d’une plus grande transparence compatible avec la charge mentale des consommateurs et la préservation d’un certain secret des affaires nécessaire à la compétitivité des entreprises.