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Les effets puissants et irrésistibles de l’hypermodernité ont rendu possible la conversion massive des consommateurs à une simplification des actes du quotidien, pour que triomphe désormais le concept de « praticité ». D’une aspiration à la « vie simple » et plutôt en phase avec la nature, nous sommes passés en quelques décennies à un mode de vie ultra-préparé, ultra-instantané et pour tout dire…ultra dévitalisé.
Pour la énième fois, j’ai ramassé aujourd’hui dans la poussière un bouchon de gourde de compote dans un parc parisien renommé, où se promènent les paons et les chats, au milieu des roses et des pivoines. Une de ces petites hélices en plastique vert, si caractéristiques de notre démission à l’égard des moindres exigences du réel, qui servent à fermer du concentré compoté, en format jetable et individuel. Vous savez, ces petites gourdes de compotes de fruits (pomme, pomme-fraise, pomme-banane, Nutriscore A, en version bio ou non bio, de marque connue ou marque de distributeur), faites de plastique et d’aluminium, dont il suffit de téter le bouchon pour en extraire une purée fruitée et sucrée plus ou moins identifiable sur le plan gustatif. Ces gourdes ultra conceptuelles, qui tiennent dans la main, dont on raconte qu’elles furent d’abord testées par de valeureux astronautes en orbite, et qui se vendent désormais par millions à travers le monde, offrant à nos enfants, à nos ados et aussi aux grands–enfants que nous sommes (bravo le marketing !), le plaisir de quelques aspirations nutrifiantes et fructifiantes.
Zéro effort, zéro échec…zéro poésie
Et pourquoi donc un tel succès, alors que les fruits frais et de saison pourraient être consommés par TOUS, d’une façon beaucoup plus quotidienne, consciente, respectueuse et savoureuse ? Parce que ces mini-gourdes en plastiques, qui jonchent les trottoirs et les espaces verts une fois vidées de leur substance, sont tout simplement en adéquation parfaite avec ce 21ème siècle. Une époque qui tend à vider de son sens la moindre de nos actions, grâce à une kyrielle d’objets et de procédés (trottinette électrique, solo-wheel, barres de substitut de repas, capsules individuelles de café en aluminium, perche à selfie, etc.) tous plus idiocratisants les uns que les autres.
Les Pom’Copines, c’est le « presque-fruit » sans les inconvénients du fruit, garanti sans échec et sans problème dans nos sociétés sans érotisme et sans imaginaire, sans histoire, sans mémoire, sans rituel, sans langage et sans transmission. Avec la gourde de compote, zéro tâches garanties, zéro doigts qui collent, zéro risque de tomber sur un abricot farineux, une banane un peu noircie, une pomme habitée par un petit ver, une poire trop dure ou une pèche trop mûre qui dégouline. Aucune dent qui croque, qui mord, qui déchire.
Les industriels de l’agro-alimentaire, qui se gavent littéralement grâce à ce produit vendu partout dans les supermarchés, les gares, les épiceries, soutiennent que ces critiques sont infondées et injustes, et que bien au contraire leurs gourdes plastifiées permettent aux enfants de « découvrir » les fruits et donc d’en manger plus tard. Alors qu’en réalité, ils ne font qu’entretenir leur addiction au mou, aux matières plastiques et aux bidules jetables. Sachant que bien souvent ces « goûters express » s’accompagnent d’un paquet de chips ou d’une autre composant ultra-transformé.
Et tandis que jour après jour nos enfants et nos ados, pourtant bien pourvus de dents, tètent leurs gourdes en toute inconscience, nous perdons le sens des saveurs, des textures. Plus de groseilles qui piquent la langue, de pomme que l’on savoure jusqu’au pépins, de banane rigolote, de clémentine dont le jus explose en bouche. Que deviendront ces enfants, si ce n’est des adultes standardisés sans souvenirs fruités, qui se détourneront des produits bruts et frais, faute de s’y être « confrontés », au grand dam de l’interprofession des fruits et légumes qui pourra bien lancer toutes les campagnes de communication et de sensibilisation qu’elle voudra, en vain…