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Dans cette nouvelle série « 5 questions pour nourrir l’avenir », je reçois des personnalités qui nous partagent leur vision dans des entretiens à la fois courts et éclairants.

Face aux bouleversements écologiques, économiques et sociaux qui redéfinissent notre époque, comment repenser l’agriculture et l’alimentation ? Céline Laisney, experte en prospective alimentaire, dresse un état des lieux sans concession et explore les leviers de transformation possibles. De la rémunération des agriculteurs aux signaux faibles de la végétalisation, en passant par l’impact des nudges et des innovations comme la fermentation, elle nous livre, en moin de 5 min, sa vision des enjeux majeurs et des tendances d’avenir.
Quel regard portes-tu sur le monde d’aujourd’hui ?
Je crois que nous avons basculé dans un nouveau monde, mais que nous gardons le logiciel de l’ancien. Nous croyons encore pouvoir revenir à la croissance des 30 glorieuses, au progrès ininterrompu du confort dans un monde aux ressources infinies. Ce n’est plus le cas, il faut un nouveau logiciel, mais la transition est très difficile, comme en témoigne le retour en arrière au niveau européen et national sur les engagements environnementaux.
Quel est, selon toi, l’enjeu des enjeux en matière d’agriculture et d’alimentation ?
En matière d’agriculture, c’est mettre en place un nouveau système de revenus des agriculteurs basé sur les bénéfices environnementaux de différents pratiques et types de cultures (bénéfices qui doivent encore être quantifiés). En matière d’alimentation, c’est faire évoluer les habitudes qui sont très profondément ancrées (car manger c’est aussi une question sociale, culturelle, anthropologique…) tout en tenant compte des modes de vie actuels et des contraintes de la vie moderne : je ne crois pas qu’on va tous se remettre à cuisiner deux heures par jour.
Peux-tu nous partager un signal faible (signe avant-coureur de changements majeurs potentiel) porteur d’avenir ?
Les engagements de certains distributeurs (comme Lidl aux Pays-Bas et dans d’autres pays) pour développer le végétal en baissant le prix des produits, et le fait que des alternatives végétales deviennent moins chères que leurs équivalents animaux. Quel est le levier le plus efficace pour faire évoluer nos comportements de consommateur ? L’information est importante (on attend toujours la mise en place de l’affichage environnemental) et il y a aussi beaucoup de leviers efficaces dans la famille des nudges, comme le choix par défaut (qui marche bien sur les plats végétariens dans les cantines, les hôpitaux). Mais tout ne doit pas reposer sur le consommateur et nous a aussi besoin de politiques volontaristes pour faire évoluer les prix (taxes/subventions), les recommandations nutritionnelles, etc.
Quelle tendance a, selon toi, le plus d’avenir ?
La végétalisation de l’alimentation, qui peut se faire sous différentes formes : manger des portions réduites de viande, faire des repas sans viande, consommer des analogues (steaks ou fromages végétaux par ex) ou bien des légumineuses, etc. C’est la tendance la plus impactante pour agir rapidement sur le changement climatique.
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1 Marque ou 1 entreprise qui change la donne ?
Pour ne pas faire de jaloux parmi les entreprises que j’accompagne, je citerai une marque étrangère : la Suédoise Oatly, qui a mis en place un dispositif pour aider des éleveurs à se diversifier dans la production d’avoine, et qui milite pour l’affichage de l’empreinte carbone des produits, qu’il applique lui-même depuis 2021 (ses boissons affichent 0,4 kg CO2/ kg).
1 Innovation particulièrement remarquable ?
Une innovation très ancienne : la fermentation, qui est à présent appliquée à d’autres sources de protéines végétales que le soja pour créer des produits innovants, excellents pour la santé et l’environnement, comme du tempeh de lentilles corail ou du tofu de pois chiche. D’autres innovations arrivent dans ce domaine, à suivre : la start-up Intact Regenerative et le programme de recherche Ferments du Futur.
1 Personnalité particulièrement inspirante ?
Le chef Yotam Ottolenghi, qui montre que le végétal peut être gourmand et séduisant, et qui inspire toute une nouvelle génération de restaurateurs.
