Dans cette nouvelle série « 5 questions pour nourrir l’avenir », je reçois des personnalités qui nous partagent leur vision dans des entretiens à la fois courts et éclairants.
Agricultrice, ancienne présidente de la FNSEA (syndicat agricole majoritaire) et du COPA (Comité des Organisations Professionnelles Agricoles de l’Union Européenne), Christiane Lambert est une des figures les plus influentes du monde agricole. Elle partage dans cette interview sa vision du secteur, ses préoccupations face aux défis économiques et sociétaux, et ses espoirs pour l’avenir de l’agriculture française. Récemment devenue présidente de la FICT (Fédération des entreprises Françaises de charcuterie traiteur), elle met en avant la nécessité d’une répartition plus équitable de la valeur au sein de la chaîne alimentaire et d’une agriculture compétitive à tous les niveaux, sans sacrifier la qualité.
Quel regard portez-vous sur le monde actuel ?
Le monde est tourmenté, électrique et imprévisible. Les conflits se multiplient, les relations sont tendues, et les propos, radicalisés. C’est le règne des punchlines et des fake news. Cette incertitude touche également l’économie et la politique, avec des décisions imprévisibles de dirigeants comme Donald Trump, Vladimir Poutine ou Xi Jinping. Pour les chefs d’entreprises, ce climat n’est pas idéal. Socialement, les repères traditionnels comme la famille, l’éducation ou l’appartenance territoriale sont ébranlés, ce qui génère nervosité et pessimisme.
Quel serait, selon vous, l’enjeu des enjeux pour l’agriculture et l’alimentation ?
L’enjeu principal est d’avoir une chaîne alimentaire plus apaisée avec une meilleure répartition de la valeur. Les distributeurs entretiennent l’idée qu’on peut toujours manger mieux pour moins cher, ce qui détruit la valeur et la confiance. Cela a écrasé les revenus des agriculteurs, avec la perte de 100 000 exploitations en dix ans et beaucoup de PME agroalimentaires sont en difficulté, notamment dans la charcuterie où 30% des entreprises sont dans le rouge. Il est essentiel de reconnaître le travail de chaque acteur de la chaîne alimentaire et de mieux partager la valeur.
Comment l’agriculture française peut-elle rester compétitive ?
L’orientation politique forte vers la montée en gamme a été trop exclusive ! L’agriculture doit aussi produire de l’entrée de gamme et du cœur de gamme de qualité, accessible à tous. La compétition avec des pays où les coûts sont plus bas est déloyale à cause des différences de réglementations et de coûts de production. En outre, le discours anti-agriculture de certaines ONG freine le développement. Il est essentiel de moderniser les élevages pour les rendre plus respectueux du bien-être animal, du sanitaire et plus productifs.
Quel signal faible pourrait influencer l’avenir de l’alimentation ?
Je dirai l’inquiétude croissante des professionnels de santé face à la santé des enfants et des adolescents. Beaucoup sont carencés en raison d’une alimentation trop pauvre en protéines animales. Les régimes trop végétalisés peuvent entraîner des déficiences nutritionnelles importantes.
Quel serait le récit mobilisateur pour mobiliser les consommateurs autour de l’alimentation et de l’agriculture ?
Le plaisir et la santé doivent être au cœur du récit. L’alimentation est un acte de plaisir et de partage. En France, les plats préférés restent des plats traditionnels comme la raclette, la choucroute ou le couscous. Il faut insister sur l’importance d’une alimentation variée et équilibrée, en écoutant davantage les nutritionnistes que les idéologues qui prônent des solutions extrêmes comme le tout-végan ou les substituts ultra-transformés.
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1 Marque ou 1 entreprise qui change la donne ?
L’entreprise Missègle dans le Tarn, qui a relancé le filage de la laine de mouton par des entreprises locales pour créer des pulls et autres confections modernes et colorés ! C’est un bel exemple de réindustrialisation locale et les 2 jeunes fils de Madame Joly ont rejoint l’entreprise. Il y a aussi les jeans de l’entreprise Tuffery en Lozère, fabriqués en France avec un vrai savoir-faire artisanal et une dynamique commerciale offensive sur un marché très concurrentiel.
1 Personnalité particulièrement inspirante ?
Tony Estanguet. Il a su faire des JO de Paris un événement de partage et de communion, malgré les difficultés et les critiques. Son optimisme et sa rigueur sont exemplaires. Il incarne la persévérance et l’esprit d’équipe, des valeurs essentielles dans le monde agricole comme dans le sport.