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Alors que le SIAL Paris, le salon mondial de l’alimentation s’achevait il y a quelques jours, je vous partage ici ce que j’ai observé et qui a retenu toute mon attention. Mais cette synthèse ne saurait être exhaustive, tant il est impossible de parcourir l’immensité de ce salon au contenu vertigineux.
Saucisses de crevettes, chips au goût d’énergies drinks, boissons aux goûts créés par l’IA, cocktails solides sous forme de capsules ou encore du café au goût de snickers… il est facile quand on vient au plus grand salon mondial de l’alimentation de tomber sur ce type d’ovnis. Les médias en raffolent pour créer le buzz.
S’il il ne faut pas s’attendre à une véritable révolution alimentaire dans un domaine placé sous le joug de l’inertie culturelle, en revanche, les mouvements d’évolution sont beaucoup plus profonds et pas toujours visibles à l’œil nu.
Oser la bifurcation…
Au delà de ces exemples gadgétiques à la destinée incertaine, les industriels ont parfaitement compris que l’innovation est aussi une façon d’attirer l’attention, et de faire parler d’eux plus largement.
C’est le cas du breton Hénaff. L’entreprise familiale, particulièrement engagée et toujours fort audacieuse, propose cette année deux innovations qui ne sont pas passées franchement inaperçues chez le spécialiste du pâté de cochon en boîte.
Il s’agit du Fève’Camole, une alternative à la fameuse préparation à base d’avocat (un aliment à l’empreinte environnementale questionnée) à partir de légumineuses, en l’occurrence des fèves. Seconde recette : le Taram’ aux algues, un produit à dipper 100% végétal. Les recettes sont franchement bonnes et s’inscrivent dans les enjeux de végétalisation de notre alimentation, mais pas à tout prix. Rappelons que les algues sont une ressource illimitée, plus important puis de carbone et ultra riches en nutriments.
Saluons le pas de côté de l’industriel qui utilise habilement son identité bretonne pour diversifier son activité de la charcuterie à l’algue.
Il y a innovation et innovation
Il y a l’innovation comme prétexte pour faire parler, l’innovation de rupture, la simple déclinaison, celle qui déplace le problème qu’elle prétend résoudre, celle qui est vertueuse mais pas bonne, c’est qui est super bonne mais pas toujours vertueuse…
Et puis, à côté de ça, moins bruyants, il y a ceux qui innovent en profondeur sur les reformulations de recettes (clean label), la logistique (les Cafés Méo lancent Koota, une marque de café engagée vers une empreinte carbone neutre via transport maritime) ou encore via l’humain comme chez la biscuiterie de l’Abbaye.
L’entreprise normande a reçu le premier prix RSE du SIAL Paris pour ses nombreux engagements concernant l’insertion de jeunes en difficulté. Elle s’illustre aussi par des innovations produits avec une gamme de biscuits 100% végétale ou encore de petites billes salés pour l’apéro.
Des marques innovent en misant fortement sur les récits, comme les chips Komesan, fabriquées avec du riz complet et qui sont inspirées de l’univers culture du manga One Piece. Une façon différente de raconter la Food.
D’autres innovent en osant changer les modèles, comme la startup nantaise Kignon qui opère un véritable « strike » en proposant des biscuits à la fois bio, anti-gaspi (réalisés à partir des invendus de pains bio), inclusifs (fabriqués par des personnes en situation de handicap) et hyper gourmands.
Dans cette veine, citons également Ramdam social qui a pour mission d’agir contre toutes les précarités en intégrant la dimension sociale au cœur même de l’achat de produits dans les courses du quotidien. Aucune innovation côté produit, la startup s’appuie sur des entreprises qui produisent déjà des recettes (avec des économies de développement au passage) sur lesquelles elle appose son « new deal ». Avec cette nouvelle marque qui promet un imaginaire de consommation différent, le don change véritablement de statuts.
La marque belge Nutty Farmer propose tout un assortiment de noix de cajou grillées et épicées, également en version sucrées, gourmandes et 100 % Fairtrade. La marque travaille avec des agriculteurs du Burkina Faso et assure une chaîne d’approvisionnement plus courte, sans passer par le Vietnam ou l’Inde qui transforment aujourd’hui plus de 80 % de la production mondiale.
Alors, bien entendu, on peut encore trouver des entreprises qui continent d’innover « business as usual » avec peut-être comme prétexte de répondre à la demande ou plutôt aux caprices du consommateur comme avec cette offre de hummus à snacker avec des crackers dans une coupelle plastique. Mais ce que l’on observe de façon générale, c’est que beaucoup de choses sont en train de bouger en profondeur.
Ce que j’ai retenu en déambulant dans le salon ?
Si il y a bien un levier incontournable, c’est l’émotion. L’émotion gustative, bien entendu, mais aussi l’émotion qui convoque tous les sens comme par exemple les couleurs comme avec ces nombreux exemples.
Les petites bouchées de snacking polysensorielles sont partout : inspirées des mocchis, place au cookie dough balls dans des versions 100% gourmandes ou même hyper protéinées chez B!Me. Vu aussi les fameuses Franui, ces framboises glacées et enrobées de chocolat qui font littéralement fureur sur Tiktok.
Mais dans cette tendance sans fin autour du snacking, gare tout de même aux produits vertueux mais qui ne tiennent pas toute la promesse de l’organo comme ces snacks à base de fromages hyper protéinés. Malgré leurs goûts puissants, leurs textures, beaucoup trop dures, me semblent vraiment à optimiser.
Au détour des allées du salon, il est intéressant de voir le développement de nouveaux produits qui s’adaptent aux nouveaux usages, comme par exemple pour la cuisson à l’Air fryer, un appareil de cuisine qui permet de réduire entre 80 et 90% l’utilisation de matière grasse. Les temps changent et les marques doivent s’y adapter. C’est le cas avec ces frites de courgettes ou encore ces tortillas et croquettes surgelées venues d’Espagne.
Entre santé et alimentation, les frontières continuent de se brouiller de plus en plus. Preuve à l’appui, les pharmacies ressemblent de plus en plus à des petites épiceries de quartier. Alors, après la mode des gummies, ces petits bombons précurseurs de la tendance de sensorialité permettant d’améliorer la prévalence des traitements chez les patients, place aux perles de chocolat. Moral, sommeil, cheveux, humeur… ces petites billes de chocolat au look de maltersers encapsulent les compléments alimentaires et permettent, dixit le représentant de la marque, de conserver beaucoup mieux les propriétés grâce à cette technologie d’enrobage.
Les promesses de santé deviennent toujours plus précises et ciblées mais aussi globale avec l’intégration de la notion de santé mentale.
Des créations du monde s’installent durablement dans notre paysage alimentaire. Après les bubble tee, les donuts, les mocchis ou encore le skyrr, dont on ne compte plus les déclinaisons, de nouveaux produits pourraient se développer massivement. C’est le cas de la pinsa (l’ancêtre de la pizza avec sa pâte fermentée beaucoup plus digeste et à la texture légère et croustillante) ou encore le cookie dough qui devient ingrédient et se vend même dans des cups au rayon frais.
Sur le skyrr, il semble s’installer dans le paysage de la consommation porté par ses bénéfices (sans matières grasses et riche en protéines). Mais il devient désormais gourmand, pratique (format gourde nomade chez Yabon ou façon tranche chez Géramont, le fromage français de Savencia devenu star en Allemagne) et même ingrédient comme base de recettes chez le traiteur Pierre Martinet ou encore dans la brioche la Boulangère.
La cacahuète superstar a le vent en poupe et s’invite partout : pâtes à tartiner, barres, biscuits… Le développement de cette légumineuse, dont les bénéfices nutritionnels, mais aussi environnementaux, sont intéressants, a été longtemps freiné par son caractère hautement allergène. Cela ne semble plus vraiment freiner les ardeurs de développement des marques qui y voit un nouveau levier de gourmandise plutôt addictif. Des marques puissantes comme Andros donne le La sur le marché. La marque qui veut faire du lance va jusqu’à décliner une paire de sneaker Andros Be Nuts x Nike repérée par Olivier Dauvers sur le Salon.
Au SIAL, on a assisté à une véritable déferlante d’offres hyper protéinées qui se diffusent dans de nombreux segments, comme les boissons (sodas protéinés de la marque allemande OeWater) mais surtout l’univers du snacking avec des propositions au positionnement ultra plaisir en salé et en sucré. Le pois chiche opère une véritable cure de jouvence via le snack libanais Hummus Bar.
Les alternatives végétales poursuivent leur développement et gagnent en maturité sur l’expérience organoleptique. C’est le cas de Planted qui annonce le lancement de son planted.steak, un produit 100 % végétal, issu d’un processus de fermentation. La marque suisse met en avant un univers ultra gourmand et « une liste avec des ingrédients naturels et sans additifs » mais qui reste quand même hyper longue : eau, protéines de SOJA, huile de colza, farines (riz, haricots), épices, concentré de betteraves rouges, extrait de levure, cultures, sucre de canne, sel, vitamine B12. Leur mission ? Établir un nouveau standard dans la catégorie des produits à base de viande végétale.
À noter que sur ce marché, les listes d’ingrédients sont encore souvent trop à rallonge comme par exemple avec ce Solmon, une alternative 100% végétale au traditionnel saumon :
Eau, maltodextrine de maïs, protéines de pois, huiles végétales (colza, lin), extrait d’algues marine (huile de Schizochytrium sp, Ascophyllum nodosum, Agar-agar) 1%*, fibres végétales (citron, carotte, bambou), farine de konjac, sel de mer réduit en sodium, épaississant : gomme xanthane, arôme, colorants : bêta-carotène, carbonate de calcium.
En parallèle, des innovations plutôt sobres se démarquent. C’est le cas des galettes végétales Sabarrot ayant remporté le SIAL d’or Innovation. Moi, ce que j’aime bien et que je trouve inspirant, au delà de ce produit en particulier, c’est ce que représente ce type d’innovation. Un véritable exemple de « slow innovation », pas hyper « bling bling », mais qui répond à des enjeux majeurs et chauds de la transition alimentaire, mais avec une réponse plutôt simple et sans artifices. Une innovation qui tranche avec des solutions toutes prêtes ou toujours plus sophistiquées et invite à cuisiner… un peu plus ! À la dégustation, c’est plutôt réussi même si la texture des légumineuses et la tenue des galettes (ou des falafels) doivent être optimisées.
Toujours dans cette veine plus « slow », certains fabricants innovent avec le café de lupin ou encore de champignons et ouvre ainsi des possibilités infinies de revisite en la matière.
Les alternatives au sucre continuent de fleurir : avec des fibres Barbe à Papa « Nuage », avec de la Coco chez Coccola. Certaines marques jouent la simplicité, comme la marque irlandaise de confitures et de beurre de cacahuète « Mor Taste » qui promet moins de sucre via plus de fruits ! Et si c’était plutôt ça la vraie solution ?
S’inspirant des furikake japonais, les Bretons de chez Zalg, toujours autant créatifs, présentent UMAMIX, un allié pour enrichir son alimentation en saveurs et nutriments naturels tout en réduisant l’utilisation de sel. C’est également cette promesse de moins de sel qu’affiche Yusto (Arbiom), une « super levure » en paillette, riche en nutriments et fibres à saupoudrer sur les plats et apportant un goût « umami ».
La filière fruits et légumes frais qui se mobilise pour contrer une déconsommation fait aussi preuve d’innovations remarquées. C’est le cas de ce kit pédagogique « mini-salle de pousse d’endives » développé par Perles du Nord pensé pour familiariser les enfants avec un légume par la connaissance de son cycle de production, de son mode de préparation et de son goût.
Autre innovation astucieuse, les cœurs de poireaux minute. Une façon d’inviter à la consommation de ce légume en simplifiant sa préparation. Cela me rappelle aussi la communication sur la cuisson au micro-ondes de l’artichaut lors d’une campagne d’affichage de Prince de Bretagne.
Vu aussi la marque de snacks de légumes italienne Mr Beans qui promet de ringuardiser les vieux snacks. Tout un programme.
Les sauces façon condiments continuent de gagner en maturité et les gammes sont travaillées en profondeur pour des expériences sensorielles toujours plus sophistiquées. Les versions « ultra spicy » investissent tous les segments et on assiste à une véritable consécration du piment. C’est par exemple le cas de Shilly Shally, une marque du sud de la France qui entend rendre le piment accessible à tous.
Bon, sinon, côté emballage, en revanche, clairement pas grand-chose de significatif à noter.
Et demain ?
En partant du SIAL, je rencontre une personne qui m’interpelle et me lance « Alors, c’est quoi les tendances pour demain ? »
Demain, selon moi, peut-être pas de révolutions apparentes en vue, tant l’inertie liée à nos habitudes alimentaires est forte. Mais l’innovation sera bien loin de se jouer sur des offres de ruptures. La planète food bouge, et plutôt en profondeur. L’innovation est partout et se joue dans les ingrédients développés pour le BtoB, les modes de sourcings plus vertueux, les reformulations de recettes, la traçabilité, la valorisation des coproduits , les façons de collaborer ou de se raconter. Il y a les acteurs qui s’en emparent activement et qui avancent vite, même très vite. Et puis il y a ceux qui continuent « business as usual », car il faut se le dire, c’est en attendant et à court terme, ce qui continue de rapporter le plus d’un point de vue strictement financier.
Alors, à l’heure où la consommation ne cesse de s’individualiser, vouloir suivre toutes les tendances n’a définitivement aucun sens. La priorité ? Faire des choix pour s’emparer de celles qui entrent le plus en résonance avec le futur alimentaire auquel vous aspirez.