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Et si nos assiettes reflétaient réellement nos territoires ? Pour Julie Bigot, la relocalisation alimentaire, bien plus qu’une tendance, est une réponse aux défis environnementaux et sociaux actuels. Elle nous invite à partir à la découverte de Cuisinons Nos Paysages, qui incarne cette transition en recréant du lien entre producteurs, transformateurs et consommateurs. À travers des initiatives comme les légumeries-conserveries, ce modèle prouve qu’une alimentation locale, durable et équitable est non seulement possible, mais essentielle.
Julie Bigot
Les enjeux de la relocalisation
Et si les repas dans nos cantines étaient directement dictés par ce que la terre produit, au lieu d’être le fruit d’importations lointaines ou de desiderata déconnectés des saisons ? Le concept de relocalisation alimentaire émerge comme une réponse forte aux défis environnementaux et sociaux de notre époque.
crédit photo @lesdialogueurs
Relocaliser, ou plutôt reterritorialiser c’est reconnecter les mangeurs aux paysages qui les nourrissent, réduire les kilomètres parcourus par nos aliments, et redonner du sens à l’acte de consommer. Les défis sont nombreux : dépendance aux circuits longs et mondialisés, uniformisation des pratiques agricoles, et pressions économiques sur les producteurs. La transition vers un modèle plus local implique une refonte complète de nos habitudes alimentaires, mais aussi une meilleure valorisation des acteurs qui travaillent la terre.
Au carrefour de cette révolution, Cuisinons nos Paysages (CnP), porté par Augustin LE GOASTER et Clément LEFEBVRE, co-fondateurs, illustre comment les territoires peuvent gagner en autonomie alimentaire. L’objectif : relier les producteurs, transformateurs et consommateurs autour d’un modèle durable et équitable.
Tout est dans le nom : la cuisine en premier lieu, repartir des produits bruts et ensemble renouer avec une cuisine de marché, du quotidien.
Le « nos » rassembleur, impliquant chacune et chacun.
Et bien sûr les paysages, que l’on façonne par ce que l’on est, ce que l’on fait, comme l’illustre cette phrase d’Arnaud Daguin : “Ce que je mange me constitue, ce que je mange dessine le monde”
Monia, cheffe de produit au sein de Cuisinons Nos Paysages, résume bien cet enjeu : « Démocratiser une alimentation saine et durable, c’est offrir à chacun, peu importe ses revenus ou son origine, la chance d’avoir accès à des produits locaux, frais, et de saison. »
Extrait Newsletter Agriviva – partenaire CnP – à destination des cuisines centrales
Les légumeries-conserveries : des ateliers inclusifs et de proximité
À la croisée des champs et de nos assiettes, les légumeries-conserveries incarnent un maillon essentiel pour concrétiser cette ambition. Ces structures locales transforment et préparent des légumes à destination des cantines scolaires, de la restauration collective ou des commerces de proximité. Concrètement, elles nettoient, parent, découpent, cuisinent puis conditionnent des légumes, fruits ou légumineuses locaux pour en faciliter l’usage.
Leur rôle est double : offrir un débouché rémunérateur et de proximité aux agriculteurs, tout en facilitant l’accès à des produits sains et locaux en restauration collective. Cependant, ces ateliers restent fragiles. Ils doivent composer avec des contraintes fortes : la saisonnalité de la demande, les batailles de prix et les défis logistiques propres aux produits frais. Pour réussir, ils s’appuient sur des collaborations étroites avec les producteurs pour co-planifier les cultures en fonction des besoins identifiés en amont. Cette anticipation garantit des volumes d’achat, limite les surproductions, et renforce la stabilité économique des agriculteurs.
Alexandre, producteur de Concombres, tomates, fraises et poireaux – Les serres de Capestang / crédit photo @lesdialogueurs
La légumerie Agriviva, basée à Montpellier, illustre bien ces enjeux. Première légumerie intégrée au réseau Cuisinons nos Paysages, elle a retrouvé un équilibre financier après sa reprise en 2022, grâce à un travail d’équipe acharné. En plus de sa mission première, Agriviva innove en investissant dans la R&D pour développer de nouveaux produits, comme les « soupes antigaspi » ou des légumes cuisinés prêts à l’emploi.
Ces initiatives valorisent les surplus de production et permettent de lutter contre le gaspillage alimentaire (En France, 1,2 million de tonnes de la production primaire est jetée*). L’atelier de production montpelliérain emploie également des personnes en réinsertion, complétant ainsi sa mission de créateur de liens au sein du territoire en ajoutant une dimension sociale forte.
Agriviva atelier de production / crédit photo @lesdialogueurs
Tisser des liens entre producteurs et consommateurs
Stéphane, responsable des achats et du sourcing chez Agriviva, met un point d’honneur à recréer du lien humain entre les producteurs et les clients. « Si on ne parle pas de l’humain, on n’arrivera à rien ! », résume-t-il. Son travail implique de raconter les histoires derrière les produits, comme celle d’Eric et de son fils Théo, producteurs de salades « Saveurs de Latte », un duo familial dont le parcours illustre les défis et les réussites des agriculteurs.
Eric & Théo, les saveurs de Latte / crédit photo @lesdialogueurs
Ce qui motive Stéphane, au-delà des aspects opérationnels, c’est le sentiment de contribuer à une mission porteuse de sens : « On crée du lien humain, c’est tout ce que j’aime », confie-t-il avec fierté.
Le modèle en réseau : pérenniser l’activité des légumeries
Pour faire face à ces défis structurels, Cuisinons nos Paysages mise sur un modèle en réseau. L’objectif : mutualiser les expertises en R&D, logistique et gestion pour pérenniser l’activité des légumeries à l’échelle nationale. Ce modèle collaboratif permet à chaque atelier de bénéficier des meilleures pratiques et d’un soutien opérationnel adapté à son contexte local.
« C’est un modèle de coopération qui efface la concurrence. Un modèle d’avenir dans un monde en mutation. On ne travaille pas tant à la performance qu’à la robustesse des ateliers », explique Augustin, co-fondateur de CnP. Grâce à cette approche, chaque légumerie peut se concentrer sur sa mission principale : fournir des aliments sains et locaux tout en soutenant les filières agricoles de proximité.
Agriviva, laboratoire expérimental du réseau, illustre bien les forces de cette coopération. En reprenant cette légumerie en difficulté, CnP a démontré qu’il est possible de pérenniser des structures fragiles et de leur donner une nouvelle vie, tout en respectant les valeurs de durabilité et d’équité.
Les pistes de développement pour Cuisinons nos Paysages
Pour aller plus loin, CnP travaille sur plusieurs axes de développement :
- Mailler davantage le territoire : créer de nouvelles légumeries dans des régions stratégiques, en fonction des besoins identifiés.
- Progresser opérationnellement : renforcer la logistique, optimiser les processus de transformation, et développer des produits innovants pour répondre aux attentes du marché.
- Soutenir les filières agricoles : accompagner les producteurs vers des pratiques plus durables, tout en sécurisant leurs débouchés grâce à des engagements de volumes et de prix justes.
Comme le souligne Clément, co-fondateur impliqué dans l’optimisation des flux : « Recréer la confiance entre les agriculteurs et les acteurs de la transformation alimentaire, c’est poser les bases d’un système durable et équitable. »
Conclusion : tou.te.s acteur.rice.s du changement
La relocalisation alimentaire ne se limite pas à des initiatives isolées. Elle invite chaque citoyen, citoyenne, entreprise ou collectivité à jouer un rôle actif. En soutenant des modèles comme celui de Cuisinons nos Paysages, nous contribuons à réinventer notre système alimentaire, pour qu’il soit plus durable, solidaire et équitable.
« Nous voulons prouver qu’une légumerie locale, engagée et solidaire, peut être économiquement viable. Et si cela fonctionne ici, cela pourra fleurir ailleurs, car ensemble, on va plus loin », affirme Laure, directrice générale d’Agriviva, partenaire de CnP.
Et vous, à quand remonte votre dernier repas véritablement connecté à votre territoire ?
Vous êtes intéressés par le modèle de légumerie et aimeriez en savoir plus ? Discutez-en avec Augustin : augustin@cuisinonsnospaysages.fr
*source : statistiques.developpement-durable.gouv.fr
Crédit photos et vidéo : Justin – Les dialogueurs
Coups de projecteur sur d’autres initiatives locales :
- La légumerie bio de Rousseloy (60) : Quand le maire de Rousseloy dans l’Oise, agriculteur biologique, décide d’offrir des légumes biologiques accessibles à tous et de permettre un commerce de proximité dans un désert alimentaire. Engagé dans la démarche d’une alimentation de qualité pour toutes les bourses, Didier ROSIER en plus de son activité de vente de ces légumes biologiques en gros, a installé un système de casiers pour que les particuliers profitent d’ingrédients bruts biologiques au meilleur prix. Son kg de carottes biologiques est à 0,80€ ! Il complète sa production avec les produits d’acteurs locaux : autres légumes, fruits, fromages, farine, pates, œufs etc.
creilsudoise_didier-rosier // Vidéo Rousseloy
- Bon dimanche : de la micro-laiterie bio à des glaces artisanales bio et ultra locales savoureuses : l’aventure d’Eléonore et Edouard. Dès leur sortie d’école, les deux partenaires ultra-engagés se lancent dans la réalisation d’une micro-laiterie à Saint-Nom-La Bretèche (78). Au cœur d’un territoire, une micro-laiterie c’est un outil de transformation du lait, qui s’approvisionne auprès de fermes biologiques et agro écologiques, et distribue sa production dans un rayon de 99km !
bondimanche // bondimanche_bio/Insta
- L’association ValOrise et la conserverie OrNorme : situées à Brain-sur- Allonnes (49 – Maine & Loire) dans un tiers-lieu engagé dans l’économie circulaire, l’anti-gaspi en transformant les fruits et légumes en surplus ou déclassés mais aussi dans l’éducation des enfants à l’alimentation. Malheureusement le contexte économique a contraint la fermeture de la conserverie, mais l’association continue son travail de sensibilisation. L’engagement et la passion ne suffisent pas toujours.