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Le populisme est traditionnellement associé au domaine politique. Trouvant un terreau propice dans un contexte de tensions économiques et sociales bien réelles (crise économique et tensions au niveau du pouvoir d’achat, sentiment de déclassement social, angoisses identitaires, perte de sens, sécurité…), le populisme est une approche opportuniste hautement manipulatrice. À y regarder de plus près, l’alimentation n’y échappe pas. Radioscopie du phénomène en 11 cas symptomatiques.
Cas N°1 : surfer sur les peurs et les nourrir
La prise de conscience des peurs alimentaires est vieille comme le monde et elle est parfois bien légitime. Cela dit, notre époque confond trop souvent risques et dangers et exploite notre ultra sensibilité pour en faire un levier de mobilisation.
Le risque ?
À mélanger vrais risques et fausses peurs, le risque est que les consommateurs et citoyens s’y accoutument et n’y prêtent plus vraiment attention.
Cas N°2 : créer des raccourcis et simplifier à outrance
Pour répondre à un besoin de transparence fort légitime, une masse d’information est ainsi déversée à des consommateurs dont la charge mentale est à son comble. Alors, on n’hésite pas à avoir recours à des raccourcis simplificateurs. C’est l’avènement des allégations ou preuves « paravents ».
Le risque ? Utiliser une allégation, un label ou encore une note favorable pour signifier une évaluation positive plus globale du produit peut clairement induire en erreur.
Cas N°3 : polariser le débat en opposant le bien vs le mal
Agriculteurs pollueurs, industriels empoisonneurs, bobos idéalistes, journalistes vendus, politiques véreux, blogueuses food vénales et vendues ou encore vegans terroristes… Nous vivons une époque qui ne fait pas dans la dentelle. À l’origine de cela, une tendance à opposer de façon caricaturale les modèles. Les petits contre les gros, les artisans contre les industriels, le bio vs le conventionnel… C’est plutôt pratique, très vendeur et cela engendre une adhésion quasi immédiate surfant sur un levier puissant, l’émotion.
Le risque ? Forcer les citoyens et consommateurs à choisir entre des options trop radicales, déplacer les sujets sur le terrain de la morale avec le jugement hâtif en seule juge de paix et, en fin de compte, nourrir le bashing ambiant et le « tous pourri ». Le fait de mettre en scène son adversaire et ses travers interroge également sur le niveau d’exemplarité de l’accusateur.
Campagne de la marque de jambons Aoste mettant en scène de façon ultra caricaturale les végétariens :
Cas N°4 : se mettre dans une posture antisystème
Plus que jamais, notre monde oscille entre conscience écologique et survie économique. Certains ont bien compris qu’il pouvait y avoir des ficelles un peu trop faciles à tirer en orchestrant un discours antisystème.
Le risque ? Si le constat se fonde sur des éléments bien réels, cette posture met la barre haut pour celui qui l’utilise et apparaît peu crédible, tout en contribuant à nourrir un peu plus le sentiment de décadence générale de nos sociétés.
Cas N°5 : utiliser la voix du consommateur de façon démagogique
Il s’agit clairement de brosser le peuple en situation d’achats, autrement dit les consommateurs, dans le sens du poil. En cela, la référence aux sondages est un bon levier. Si cette posture part d’un bon sentiment, la surjouer interroge.
Le risque ? Si cette posture paraît à l’origine parfaitement légitime, elle peut aussi parfois manquer de crédibilité. Sur des sujets complexes le recours à la vindicte populaire pour statuer peut aussi interroger.
Cas N°6 : jouer la carte du symbole
Il y a des aliments qui ont un pouvoir incroyable. Ils symbolisent l’alimentation à la française à eux tout seuls. Pour citer Bruno Parmentier : « Le prix de la baguette est un symbole. La notion de prix ressentie est très importante par rapport à celle de prix réel. Nous sommes tous persuadés que le prix du pain a beaucoup augmenté, nettement plus que l’inflation, ce qui n’est absolument pas constaté dans les chiffres. » C’est donc cet aliment qui se retrouve au cœur d’un affrontement de communication autour de la défense du pouvoir d’achat.
Le risque ? Jouer davantage sur les émotions et les perceptions que sur la réalité des choses et diviser l’audience pour mieux émerger soi même.
Cas N°7 : se réfugier dans l’idéologie alimentaire
La crise de sens que nous vivons dans nos sociétés laisse un boulevard à des mouvements « prêt-à-penser » dont le corpus devrait s’imposer à nous tous. En matière de consommation, c’est ce que critique précisément l’enseigne bio Naturalia dans une récente campagne défendant un bio non totalitaire.
Le risque ? Détourner le consommateur et le citoyen qui supportent de moins en moins les leçons de morale.
Cas N°8 : Se positionner dans le mythe du sauveur
À la fin, il y a toujours celui qui se présente comme le sauveur. Surfant sur un contexte propice, le sauveur invoque le peuple.
Le risque ? Brouiller les cartes et créer la confusion entre populaire et populiste en faisant croire qu’à problèmes complexes il y aurait des solutions faciles.
Cas N°9 : Se risquer au « name & shame »
La locution en anglais name and shame (litt. « nommer et couvrir de honte »), traduite par mise au pilori, désigne le fait de « déclarer publiquement qu’une personne, un groupe ou une entreprise agit de manière fautive » (Wikipédia).
Le risque : mieux vaut assurer ses arrières et valider que l’on est parfaitement exemplaire au risque d’être purement décridibilisé.
Cas N°10 : Le syndrôme du petit bout de la lorgnette
Nous vivons une époque extrêmement complexe. Ce n’est plus franchement une « crise » mais bien une période de ruptures profondes, un véritable changement de paradigmes. Il faut faire preuve d’audace et de courage pour repenser notre modèle à bout de souffle. Dans ce contexte, méfiance sur les discours consistant à tout justifier en invoquant les exigences (caprices ?) du consommateur (exemple : si je ne propose pas de fraises même hors saison, le consommateur ira les acheter ailleurs) ou en invoquant les dommages collatéraux provoqués par certaines décisions (exemple : s’attaquer à un problème est souvent opposé à l’impact économique provoqué sur tout une filière).
Le risque : derrière ces arguments qui se veulent toujours ultrapragmatiques, se niche en fait souvent la défense d’intérêts catégoriels.
Cas N°11 : La fausse posture de « premier de la classe »
Dans un contexte de tensions autour des négociations du MERCOSUR et de manifestations des agriculteurs, plusieurs enseignes de GMS se précipitent pour prendre la parole et annoncer fièrement leur engagement à ne pas commercialiser de la viande issues de ces pays dans leurs rayons en cas d’adoption du traité. Derrière ces véritables « effets d’annonce », pas grand-chose. Dans la réalité, depuis la crise de la vache folle et l’obligation d’affichage des origines, les enseignes de GMS ne vendent déjà pas (ou alors dans des proportions anecdotiques*) de ces viandes dans leurs rayons traditionnels. On peut retrouver ces viandes en GMS mais dans des produits industriels via la mention « origine hors UE » et aussi dans la restauration (en particulier les fast food). L’engagement des enseignes ne porte donc pas sur les produits industriels qu’elles continuent de référencer sans vraiment pinailler.
*M. Bompard a précisé que le bœuf et le porc commercialisés par Carrefour étaient déjà originaires de France à 96 % selon Le Monde.
Le risque : la posture pourrait être habile, car c’est un levier pour détourner habilement la colère paysanne qui vise souvent ces grandes enseignes. Le risque est pourtant grand que les médias débunke rapidement la manipulation, exacerbant encore un peu plus la colère.