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Si l’écologie et la menace du réchauffement climatique sont sans conteste une préoccupation sociétale grandissante, celle des crises (guerres, pandémies, crise économique, catastrophes climatiques..) l’est aussi.
D’un côté, les consommateurs prennent conscience que leurs comportements peuvent jouer un rôle dans la protection de l’environnement, ils sont de plus en plus nombreux à adopter des comportements écoresponsables : en privilégiant des produits plus durables, en adoptant des pratiques plus circulaires (occasion, réutilisation, location, don, prêt, recyclage, etc.). D’un autre, la multiplication des crises perturbe, à court et moyen termes, ces (nouvelles) habitudes, pouvant générer des trajectoires de consommation différentes, voir opposées. Comment les comportements écoresponsables peuvent-ils être déviés ou favorisés en fonction des différentes crises auxquelles sont confrontées les consommateurs ? Ont-elles été un accélérateur ou au contraire un ralentisseur de ce type de consommation ? Cette thématique a fait l’objet du dernier ouvrage « La consommation sous contrainte ».
Vers une « dé-priorisation » de la crise climatique
Les différentes crises sanitaires, économiques, géopolitiques deviennent une source d’inquiétude grandissante et peuvent supplanter la crise écologique. Ce détrônement pourrait s’expliquer par la différence de temporalité et de proximité de ces différentes dangers. Les crises économiques, les guerres sont des évènements brutaux, avec des effets immédiats, alors que la crise climatique s’inscrit dans un temps long (à horizon d’une à deux décennies). Or, les individus ont tendance à accorder moins d’importance aux évènements éloignés dans le temps et dans l’espace. Et ce phénomène s’accentue lorsque l’avenir est perçu comme incertain. La perte de confiance dans l’avenir, associé au caractère immédiat et subi des crises contribuent ainsi à une « dé-priorisation » de la crise climatique, venant interférer avec les comportements de consommation. La question du sens du mouvement se pose. Est-ce que les crises sont un levier pour favoriser un comportement écologique, ou au contraire, est-ce qu’elles découragent les démarches vertueuses ?
Les effets économiques des crises : entre produits durables et tensions financières
Face à la crise économique, et aux tensions sur le pouvoir d’achat que cela engendre, différents arbitrages de consommation sont mis en place. Certains consommateurs adoptent des comportements plus vertueux :
- en favorisant l’épargne à la consommation de produits : une forme de sobriété qui s’inscrit en cohérence avec l’anxiété face à l’avenir amenant les ménages à épargner plutôt qu’à consommer dans une volonté de faire des économies ;
- en privilégiant des pratiques de consommation écoresponsable : moins coûteuses, comme les pratiques circulaires (achats d’occasion ou « anti-gaspi », le partage, la location, etc.), ou des « non-achats » (l’eau du robinet, le don, réparer au lieu d’acheter,…).
Néanmoins, les consommateurs peuvent avoir tendance aussi à limiter l’achat de produits écologiques jugés plus cher, au profit de produits premiers prix. Le coût des produits est un des principaux freins déclarés pour consommer de manière plus responsable, il y a fort à parier que cette dimension soit exacerbée par la crise économique.
Les effets psychologiques : entre anxiété et plaisir hédoniste
Stress et anxiété : vers un recentrage sur soi
Les crises génèrent de nombreuses émotions négatives : inquiétude, peur, tristesse, désespoir, colère. Dans ce contexte, les individus ont tendance à se replier sur eux-mêmes : la protection de leur santé et leur sécurité devient une préoccupation majeure immédiate. Activant un mécanisme de protection, les individus ont tendance à se recentrer sur eux, font preuve d’un égocentrisme plus élevé. Des actions telles que le tri, le vrac, substituer le vélo à la voiture peuvent être alors relayées au second plan car ils demandent un effort et ne répondent pas à un bénéfice immédiat d’autoprotection.
Néanmoins, d’autres recherches ont montré que les crises sanitaires, comme la COVID-19, ont accentué la sensibilité des consommateurs à l’égard de leur santé, et des risques qui y sont associés. La santé devient un sujet de préoccupation majeure des Français. Cette crise pourrait favoriser des produits perçus comme de meilleur qualité (plus sains et plus sûrs) ou des produits locaux. Ces derniers, associés aux circuits courts, répondent à ce mouvement du repli sur soi, sur son environnement, sur son quartier, gage de réassurance et de confiance.
Plaisir : entre plaisir à court terme et rationalisation à long terme
Le contexte de crise fait aussi la part belle à l’instant présent. Les valeurs hédonistes sont exacerbées autour du plaisir immédiat, sans considération du futur. Autant d’éléments qui s’inscrivent en opposition avec les trajectoires de comportements écoresponsables. Car la consommation responsable est associée à un processus plus cognitif : c’est un choix réfléchi, intégrant une projection sur l’avenir. Dans cette perspective, la consommation et la surconsommation sont favorisées car :
- elles stimulent les sentiments de joie et de plaisir à très court terme, satisfaisant le désir de posséder un produit. Par exemple, le plaisir d’avoir un nouveau téléphone ou de s’acheter un nouveau pantalon. Mais les recherches ont montré que ce plaisir était extrêmement éphémère.
- Elles sont un moyen de soulager un mal-être, compenser des besoins personnels non satisfaits, une frustration passée ou projetée. Pourquoi se priver de prendre l’avion pour un week-end ou d’aller manger un bon steak ?
Le schéma n° 1 récapitule la manière dont les crises peuvent encourager ou éloigner des comportements de consommation écoresponsable.
Schéma 1 : l’influence des crises sur la consommation écoresponsable
Quelles voies pour dévier les trajectoires de décélération ? Co-bénéfices, nouveaux imaginaires
Si les lois sont un excellent accélérateur, des leviers psychologiques et sociologiques pourraient être aussi mobilisés. Valoriser les bénéfices santé, sécurité, financiers, d’efficacité et de simplicité d’usage des produits écoresponsables est une façon de rejoindre les préoccupations prioritaires des consommateurs. La dernière campagne de BackMarket « Economisez de l’argent. Et même de l’or, du pétrole, du cobalt. Acheter un smartphone conditionné plutôt que du neuf permet de réduire de 91 % l’extraction des matières premières nécessaires à sa production » associe bénéfices individuels (gain financier) et bénéfices environnementaux (réduction de la consommation des ressources). De la même manière Vinted et Yuka ont réussi à rendre extrêmement simples et efficaces les achats des produits d’occasion ou ceux meilleurs pour sa santé. Inscrire la consommation écoresponsable dans un mouvement collectif, par un système d’influences sociales, avec un imaginaire et des récits aspirationnels et désirables pourrait aussi contribuer à faire évoluer les normes et des modèles.