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Depuis plus de 18 ans et la mise en place du premier Plan National Nutrition Santé en 2001, des campagnes d’information et d’éducation conçues par les pouvoirs publics sont menées pour faire prendre conscience aux mangeurs du lien étroit entre leur alimentation et leur santé.
Les enjeux de nutrition au cœur des politiques de santé publique
Cette « médicalisation » de l’alimentation prend son sens dans un mouvement plus large de glissement d’une médecine thérapeutique vers une médecine plus préventive. L’engouement pour des applications telles que Yuka© incarne parfaitement cela : le consommateur veut savoir si ce qu’il mange est bon nutritionnellement parlant et par extension si c’est bon pour sa santé ! Cette médicalisation des pratiques alimentaires entraîne une nutritionnalisation des pratiques et des discours avec une diffusion des connaissances nutritionnelles à travers la presse, la télévision, les campagnes d’éducation à la santé (avec par exemple le fameux NutriScore qui tend à se démocratiser) transformant les hiérarchisations de sens donnés à l’acte alimentaire.
En outre, si bien des pays dans le monde rencontrent encore et toujours des difficultés pour nourrir leur population, nos sociétés occidentales développées sont entrées dans un système alimentaire surabondant depuis son industrialisation (Moati, 2016). La question n’est plus de savoir comment se nourrir mais de comment bien manger, entraînant un changement paradigmatique important de la nutrition à l’alimentation.
En effet, il ne s’agit plus d’assurer un minimum d’apports de nutriments pour assurer sa survie, mais de consommer des aliments qui ne sont pas seulement pourvoyeurs de calories, vitamines et minéraux : ils doivent aussi être bons à penser en adoptant une posture réflexive quant aux valeurs sociales, symboliques et mémorielles que nous incorporons en mangeant. Comme le rappelle Claude Fischler dans son introduction de L’Homnivore (1990), manger c’est « incorporer non seulement de la substance nutritive mais aussi de la substance imaginaire, un tissu d’évocations, de connotations et donc de significations ». C’est donc bien ici le sens de notre alimentation qui nous interpelle. Son sens gourmand, son sens environnemental et éthique, son sens nutritionnel.
Donner du sens à nos pratiques alimentaires : de la santé à l’éthique
Le sens que nous donnons à notre alimentation conduit à penser les enjeux de choix, de responsabilité, d’impacts et d’enjeux qui se retrouvent ancrés dans des logiques éthiques et environnementales fortes. Là encore s’opère un changement paradigmatique, il ne s’agit plus de s’assurer d’un « bien manger » au sens de prendre soin des apports nutritionnels en écho notamment à l’augmentation des maladies chroniques en lien direct avec ce que nous ingérons (diabète, obésité, maladie cardiovasculaire) et transformant notre alimentation en levier de prévention mais de penser aussi le « bon à manger ».
Le « bon à manger » devient une nouvelle valeur qui s’impose en combinant un ensemble de paramètres : la santé, le goût et le plaisir, l’environnement. Ce nouveau prisme fait également la lumière sur de nouveaux défis qui relèvent aussi bien de la production que de nos choix alimentaires : « pour répondre aux exigences environnementales, l’évolution des normes diététiques semble donc nécessaire, au même titre que celles des productions agricoles » (Darmon, 2015). On observe alors dans nos comportements alimentaires quotidiens un glissement qui s’opère de la santé à l’éthique. Selon une étude de 2017 menée par l’Observatoire société et consommation (premier observatoire des éthiques alimentaires), les pratiques alimentaires des Français sont de plus en plus guidées par des dimensions éthiques.
Dans le champ médiatique, les thématiques de l’environnement, de la consommation responsable et solidaire, de la santé, du souci de la provenance, ajoutées à celle du goût et du plaisir qui restent présents, sont toutes reliées, d’une manière ou d’une autre, à cette valeur éthique. Riche de sens, cette notion reste malgré tout encore en attente d’une définition précise tant elle recouvre des champs divers, de l’environnement à la nutrition, en passant par la gastronomie ou l’agroalimentaire, et de significations variées. De nouvelles modalités émergent et tiennent à la fois à l’appropriation des normes nutritionnelles mais surtout à la réappropriation des valeurs traditionnelles de l’alimentation en France (plaisir, goût, commensalité) adossées aux modalités nouvelles d’équilibre alimentaire et de bien-être.
Le consommateur est face alors à de nouveaux enjeux dépassant le cadre strict de sa santé. Désormais, l’alimentation promue doit être « bonne » : bonne pour soi, bonne pour les autres, bonne à table et à partager, bonne pour la planète. Les nouvelles valeurs qui s’articulent autour de ce noyau du « bien » et du « bon » (santé, transmission, bien-être, éthique alimentaire) posent question sur la manière dont les mangeurs comprennent, perçoivent et intègrent ces nouvelles normes pouvant ouvrir de nouvelles modalités dans nos pratiques alimentaires mais également davantage complexifier les choix à opérer.
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