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Presque tous les petits Français vont à la cantine au moins une partie de leur scolarité. Le restaurant scolaire est un lieu essentiel de l’éducation alimentaire.
Il remplit un rôle social en fournissant des repas à un prix inférieur au coût réel de production et garantit un équilibre nutritionnel commun à l’ensemble des enfants. Pour le Conseil national de l’alimentation (CNA), c’est également « un lieu privilégié pour apprendre à territorialiser les productions agricoles ».
J’ai découvert Sébastien Brun dans un reportage de la chaîne Public Sénat avec Périco Légasse. Ici, on ne parle pas de cantine mais de restaurant scolaire.
Rencontre avec un chef atypique encré dans son territoire, qui aime son métier et prend à cœur sa mission de transmission auprès des enfants, qu’il considère comme de véritable clients à surprendre pour mieux les séduire. Interpellant.
StripFood : Qui es-tu, Sébastien ?
Sébastien Brun : Après avoir fait l’école hôtelière à Tours, je suis parti en Suisse allemande. J’avais 16 ans et demi et ce fut pour moi la découverte d’une toute nouvelle culture et tout particulièrement dans les assiettes. Ensuite, je suis revenu à Tours, où j’ai décidé rapidement de m’orienter dans des lycées et collèges après avoir passé mon concours de Chef. Aujourd’hui, je suis Chef au collège de Bléré le Réflessoir, en Touraine, où je sers tous les jours 600 couverts.
Je t’ai découvert dans un reportage de Périco Légasse sur Public Sénat. Ton travail y est carrément présenté comme une cuisine gastronomique. On est bien loin de l’image d’Épinal que l’on a de la cantine. Quel a été le déclic de ta démarche ?
Autour de moi, je me rendais compte qu’il y avait beaucoup de personnes qui disaient ne pas aimer, et donc ne mangeaient pas, un certain nombre d’aliments (viande, gras, épinards,…) car en fait ils avaient été forcés à l’école. L’expérience avait pu ainsi être assez traumatisante. J’ai alors pris conscience qu’il y avait un chemin à faire pour travailler non seulement sur la variété mais aussi la qualité de l’alimentation en agissant dès l’école.
On a classé (objectivement) tous les plats de la cantine de notre enfance (Konbini)
Au cœur de ta démarche, le sourcing des matières premières. Quel est ton secret pour arriver à gérer tes approvisionnements en local ?
J’ai pris conscience assez tôt de la disparition du lien avec le monde agricole. C’est important pour moi d’aller voir comment travaille chaque producteur. Certains sont très surpris de cette démarche pour un collège. J’ai commencé à démarcher les producteurs autour du collège et, au fil des rencontres, j’ai trouvé des fromages, des yaourts, mais aussi de la viande ou encore des légumes. Les premiers producteurs avec qui j’ai travaillé étaient Stéphane Turbeaux pour la viande et la laiterie de Verneuil pour le beurre. Ensuite j’ai trouvé Mme Maurice pour les fromages. Le pain vient d’une boulangerie d’Amboise, les légumes de chez Denis Bouhours, le poisson, c’est un poissonnier à Bléré qui le fournit, un ancien élève du collège. Pour les yaourts, je suis allé rencontrer la Maison Firbois à Chedigny car je trouvais vraiment qu’ils avaient de super produits.
« Cuisiner avec des produits locaux ne revient pas plus cher, au contraire. »
Qu’est-ce que tu as appris ?
J’ai vu des personnes littéralement amoureuses de leurs produits. Une personne faisait le yaourt, une autre mettait la confiture et enfin une troisième effectuait le brassage. Mais à 2,50 € le pot de yaourt, c’était déjà plus cher que le repas tout entier. En discutant avec eux, nous avons donc décidé de partir sur un conditionnement au seau qu’ils ne proposaient pas et j’ai aussi décidé de réduire le grammage de 100 à 90 grammes. Aujourd’hui, je suis à environ 40 % d’approvisionnement local.
Est-ce un bon moyen de prendre conscience de la valeur de son alimentation ?
Absolument ! Quand tu rencontres un producteur et qu’il te dit : « Oui, ma viande est à 12 balles, c’est cher mais je me lève à 4 heures du matin pour me rendre à l’abattoir, je me couche à minuit et j’ai seulement une semaine de congés dans l’année », alors oui, on prend vraiment conscience de la valeur de sa production.
« J’essaie d’éveiller le goût des enfants en leur faisant découvrir de nouveaux produits. »
Tu achètes exclusivement à des producteurs locaux ?
Quel rôle joue la pédagogie dans ta démarche ?
Il faut apprendre à raconter des histoires aux enfants et leur faire découvrir des choses nouvelles. J’essaie d’éveiller le goût des enfants en leur faisant découvrir de nouveaux produits.
Déjà, je sensibilise mes équipes à l’accueil des enfants, car on doit les considérer comme de véritables clients. Ensuite, je mise beaucoup sur la mise en scène et la décoration. Quand ce sont des légumes, par exemple, on met le produit but avec sa provenance pour leur expliquer ce qu’ils vont manger. On leur parle également des saisons. Nous sommes le premier et le seul collège de France à faire partie du Collège Culinaire de France donc, par exemple, pas de tomates en hiver !
Nous avons également été précurseurs dans le département en implantant des ruches à l’intérieur du collège grâce à un partenariat avec un apiculteur (le rucher de la Dame Blanche à Civray-de-Touraine). Avec les sixièmes, nous avons monté un atelier pédagogique avec le professeur de SVT. On les a également sensibilisés sur ce que serait leur plateau repas si les abeilles n’existaient pas. Ça a tout de suite bien percuté.
Je fais tester aux enfants des choses plus atypiques (insectes, tofu de Yaming Cui à Nouzilly, spiruline, racines d’endives de Angélique Delahaye à St Martin le Beau…) en mettant en valeur le fait que c’est spécialement pour eux et ça fonctionne.
Quel est le secret de ton approche ?
J’ai vraiment la chance de bien m’entendre avec ma chef d’établissement et ma gestionnaire, elles me font confiance et ont un regard bienveillant sur mon travail. Elles ont aussi conscience que l’alimentation est un sujet de première importance. Ensuite, nous sommes une équipe de 8 personnes : pour la confection des repas, nous sommes 4 et 1/2 poste en cuisine. Ensuite, les autres agents au nombre de 4 pour la plonge et l’entretien du réfectoire. C’est crucial pour moi de faire comprendre à mon équipe qu’il y a un enjeux autour de tout ça et qu’ils doivent en être fiers. Enfin, peut être que cela fonctionne aussi bien car nous avons la chance d’être dans une zone rurale, mais je ne suis pas sûr que si j’étais dans le centre de Tours cela fonctionnerait. Au final, c’est aussi très lié à chacun car je pourrais aussi choisir clairement de ne pas autant m’investir.
Et le bio dans tout ça ?
Moi je privilégie clairement le local. Maintenant, si c’est local et bio, c’est encore mieux.
Tu organises un menu végétarien par semaine ?
On a 10 % de végétariens. Plutôt que d’imposer un menu végétarien pour tous, j’ai choisi de proposer tous les jours une option végétarienne.
Quel est le coût d’un repas ?
J’ai 2 € par jour tout compris (quand aux parents, ils payent 3,16 €).
Tu publies chaque jour le menu sur Facebook ? C’est un outils de reconnaissance ?
En effet, je publie chaque jour mes recettes et j’essaie de mettre en valeur mes fournisseurs. La reconnaissance, c’est clé et pour tous les acteurs de cette démarche.
Ont-ils vraiment conscience de la chance qu’ils ont, ces enfants ?
Les gamins ne s’en rendent pas compte, mais quand je les revois plusieurs années après et qu’ils me disent qu’ils réalisent tout ce qu’il ont appris, je me dis qu’avec le travail que j’ai fait, j’ai gagné !
Les clefs du succès de cette démarche :
- Au départ, la conviction et la volonté d’un homme ;
- Le soutien des autorités de compétences (département, établissement) et de ses propres équipes ;
- L’importance de considérer les enfants comme des clients à part entière ;
- L’approche pédagogique autour des goûts, des origines, des producteurs, des saisons ;
- La proximité avec les fournisseurs en amont ;
- La valorisation du travail des équipes.
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