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Posée sur Internet, la question « bien manger coûte-t-il vraiment plus cher ? » enflamme le débat de façon quasi instantanée. Est-ce une question de moyens, d’envie, de savoir-faire ?
Pour certains, ce ne serait pas nécessairement une question d’argent, mais plutôt de temps. Mais le temps n’est-il pas de l’argent ?
Bref, pas si simple, surtout quand on oublie de définir dès le départ ce qu’est exactement le « bien manger ».
J’ai décidé de dédier une série de contributions à ce sujet en croisant les regards d’experts confrontant ainsi, en deux questions et en deux minutes chrono, leurs visions afin d’affiner la nôtre.
C’est désormais au tour de Bruno Parmentier, un des contributeurs pilier de StripFood.
Bruno Parmentier a dirigé l’École Supérieure d’Agriculture d’Angers (ESA) pendant plus de dix ans. Expert des questions liées à l’agriculture et à l’alimentation, il est l’auteur de « Nourrir l’humanité » et « Faim zéro » (Editions La Découverte), de « Manger tous et bien » (Editions du Seuil) et de « Agriculture, alimentation et réchauffement climatique » (Diffusion internet). Il est également animateur du blog et de la chaîne Youtube Nourrir-Manger.
StripFood : Qu’est-ce que bien manger ?
Bruno Parmentier : Cette question est en général fortement biaisée car sur ce thème chacun tire la couverture à soi en fonction de ses préoccupations du moment. Rappelons donc les bases : bien manger, pour 1/3 de l’humanité ça consiste encore à… manger ! 800 millions de terriens souffrent encore de la faim, plus un milliard de malnutrition ! En Chine par exemple, où le souvenir des famines est encore présent, on se salue on se disant « As-tu bien mangé aujourd’hui ? », et en France on a récité pendant 2000 ans l’antienne : « Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien ».
Maintenant en France, et dans de nombreux pays (dont la Chine d’ailleurs) bien manger ça veut dire ne pas trop manger, car il y a dorénavant plus de gens obèses sur Terre que de gens affamés.
Depuis que chacun peut manger à sa faim, on a très peur de se faire empoisonner (alors que justement plus personne ne meurt après souper !), et, pour beaucoup de gens, bien manger, ça veut dire ne pas ingérer de résidus de pesticides ! Rappelons cependant que, finalement, on n’a jamais aussi bien mangé sur terre, que l’humanité mange mieux avec ses 7,6 milliard d’habitants que quand il y en avait trois, ou même un seul, et que l’on gagne 4 mois d’espérance de vie par an en France, malgré la malbouffe et les pesticides !
Bien manger, surtout dans un pays qui est très accro à la gastronomie comme la France, c’est évidemment se régaler avec des produits savoureux cuisinés avec goût et savoir faire !
Mais il convient aussi d’élargir le débat aux vraies problématiques actuelles : bien manger cela veut dire dorénavant éviter de réchauffer la planète et d’épuiser les ressources naturelles, pour que notre assiette d’aujourd’hui ne menace pas celle de demain. Et c’est aussi l’art de créer de l’emploi et des solidarités locales à travers ses achats alimentaires.
Au total donc, bien manger aujourd’hui en France, ça veut dire moins de sel, moins de sucre, moins de matière grasse, moins de laitage, moins de viande, moins de produits ultra transformés, moins de produits venant d’autres continents et moins d’additifs divers.
Mais aussi plus de fruits et légumes locaux de saison, plus de céréales, plus de légumineuses et autres produits à forte teneur en protéines végétales, et plus de diversité, et, cerises éventuelles sur le gâteau, plus de bio, local, équitable !
SF : Est-ce que bien manger coûte forcément plus cher ?
BP : Si l’on considère qu’il n’y a rien de meilleur qu’une soupe faite maison de légumes de saison locaux tous les soirs, ou que bien manger consiste à consommer nettement moins de viandes et de laitages (qui font partie des produits les plus chers), et à préparer soi même ses repas à partir d’ingrédients naturels frais, rien ne dit que cela coûte plus cher en euros. Les dépenses alimentaire à la maison sont passé en 50 ans de 38 à 14 % des revenus des français ; au sens strict, on s’est tous payé notre téléphone portable avec les économies faites sur la nourriture ! Personnellement, ça ne me choquerait aucunement que l’on repasse à 15 ou 16 % des revenus ; un peu plus de durée de vie de son téléphone portable et une bonne bouffe de temps en temps ne peut pas nous faire de mal, et contribuera à diminuer les dépenses de santé ! Songeons qu’aux USA on ne consacre plus que 7 % des ses revenus pour manger chez soi, on mange un maximum de « junk-food »… mais au final on dépense deux fois plus que les français pour se soigner, et l’espérance de vie est de 4 ans inférieure !
Mais, finalement, la dépense essentielle qu’il faut faire pour bien manger c’est dorénavant d’y consacrer un peu plus de temps plutôt qu’un peu plus d’argent. Et rappelons, s’il en est besoin, que les hommes peuvent aussi faire les courses, les pluches et la cuisine (et même la vaisselle !). Donc en définitive bien manger c’est d’abord une question de culture (comme l’a si bien compris Stripfood) !