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La crise sanitaire et le confinement qui a suivi ont profondément impacté nos modes de vie. Pas seulement en nous privant de déplacement mais surtout en réalignant nos priorités. Au premier niveau de la pyramide de Maslow qui hiérarchise nos besoins, se nourrir est devenu vital, un objectif que nous atteignions sans jamais y penser jusque-là.
De la fermeture des frontières et des marchés de plein air aux risques considérés comme élevés de se déplacer dans les hypermarchés, la population a (re)découvert les circuits courts. Mélangeant un peu tout, elle a parlé de marchés, de produits bio ou de vente directe auprès des producteurs. Moment et contexte idéal pour parler de la réalité de ce marché défini à toutes les sauces.
Derrière cette large appellation de « circuits courts » se cache un marché en pleine évolution : marché traditionnel, vente directe à la ferme mais aussi création par les producteurs de magasins en ville et instauration de drive fermiers qui ont su s’emparer du digital.
Le contexte
L’engouement des citadins venus se confiner loin des villes n’a cependant pas compensé la perte des revenus liés à l’arrêt de l’export et à la fermeture des cantines et des restaurants. Chaque année, 3,7 milliards de repas sont pris hors du domicile. Et au sortir du confinement, l’engouement pour l’achat en circuit court est nettement retombé comme l’écrit Samuel Eynard, le président de la FDSEA. Les ventes ont chuté de moitié, même si elles restent de 20 à 30% supérieures à ce qu’elles étaient avant la Covid 19. Dopés par une population CSP+ plutôt urbaines, les circuits courts ne pourraient pas connaître une pérennité, voire une expansion.
Il est nécessaire de considérer un rééquilibrage en leur faveur. Renforcer les ceintures vertes des villes, reconnecter la production avec une logistique de proximité, lever le blocage du foncier agricole pour un essaimage des initiatives pourrait inciter les exploitations de taille moyenne à emboiter le pas, offrant ainsi des volumes et une régularité d’approvisionnement pour la restauration collective, les grandes surfaces et l’aide alimentaire. Un maillage plus important à condition que la pression foncière cesse. En France 52,3% des terres sont encore agricoles sans compter les forêts.
Toutefois au sortir de la crise, le constat est édifiant : changer les routines est difficile. Une étude, de Nil OZCAGLAR en 2005, sur le consommateur responsable met en avant 4 freins à ce type d’achat. Particulièrement éclairant sur notre comportement post-crise.
- En premier lieu, le prix du produit entraine un déni de responsabilité avec un argument imparable « je n’ai pas ce budget » doublé d’un accès peu aisé aux produits : ce sera toujours la faute du distributeur.
- Plus sociétal, le consommateur assumera mieux ce mode de consommation s’il est validé par autrui, donc plus simple de changer dans les métropoles que dans les petites villes.
- Jugé chronophage, consommer responsable implique plus de trajets, moins d’unité de lieux et une recherche d’infos et de disponibilité sur les produits
- Tout ce qui modifie l’utilisation de sa liste de course va limiter l’attrait du consommateur vers de nouvelles pratiques.
Enfin le consommateur dans un contexte anxiogène se considère victime de circonstances indépendantes de sa volonté.
La pandémie a également révélé les faiblesses de l’organisation des producteurs qui ont du tout à la fois produire, préparer les commandes, les transporter, les livrer au détriment du temps de travail sur la ferme. Les semaines de 80 h étaient une réalité pour certains. Dans ces conditions comment penser une alimentation en volume, alors qu’en amont, la supply chain n’est pas structurée.
A cette faiblesse, s’ajoute la réalité géographique des territoires. Espace complexe où les productions d’une région à l’autre diffèrent et ne peuvent quel que soit leur degré de diversification s’abstenir d’échanger. Mais doivent dans le même temps gérer des aspirations contradictoires. Le consommateur veut manger local et mondial, L’agriculteur peut alimenter des circuits courts, des marchés locaux mais aussi Rungis, des marchés export… Serions-nous face à une utopie ?
La voie du e-commerce empruntée par certains producteurs est une piste à suivre, et s’incarne dans un combo résumé en 3 D : Digitalisation, Désintermédiation et Dématérialisation, à condition que le lead ne soit pas récupéré par Amazon, l’un des géants des GAFAM, qui offre des market place aux producteurs. Les expéditions de paniers de légumes de la coopérative Prince de Bretagne sont passées de 10 à 100 par jour en moyenne. Idem pour Ducs de Gascogne, dans le Gers, célèbre pour ses foies gras. « Depuis l’annonce du confinement, nos colis gastronomiques sont devenus une alternative à la distanciation sociale », raconte Cyril Jollivet, PDG de Ducs de Gascogne. « Nos clients les offrent à leurs proches, notamment pour célébrer un anniversaire. Notre activité a connu une augmentation sans précédent, avec une moyenne de 2 000 euros par jour, contre 150 en mars et avril de l’année dernière ! » Pour adhérer à « la Boutique des producteurs », les PME doivent s’acquitter de 39 euros d’abonnement mensuel, et verser à Amazon 15 % de leur chiffre d’affaires. A l’échelon national, Carrefour a lancé une place de marché qui propose à des tiers alimentaires de venir vendre les produits.
Notre société est prête pour le changement, mais les discours contradictoires font qu’elle ne comprend pas comment y parvenir. Mais les changements se font sur le long terme. Il faut du temps pour accepter les inévitables mutations.