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Le GIEC rendait il y a quelques semaines un rapport clair dont la toute première recommandation concernait notre consommation de viande. Selon ce rapport, nous devrions encore réduire cette part de notre alimentation pour des raisons environnementales.
Peut-on prendre cette énième injonction comme une menace pour nos éleveurs français ? Ou bien pourrait-ce plutôt être une opportunité à saisir dans ce monde qui se transforme ?
En réalité, notre consommation de viande est en baisse depuis 40 ans. Que ce soit pour des raisons idéologiques (véganisme), éthiques (bien-être animal), de santé ou encore plus basiquement économiques, nous réduisons tous notre consommation de viande. L’argument écologique n’est finalement que le dernier sur une longue liste en faveur d’une réduction des protéines animales.
Il est vrai que le sujet est très fortement émotionnel, propulsé sur le devant de la scène par des activistes comme L214 et des flots d’images chocs qui hantent nos têtes. Pour autant, nous avons aussi une contre-offensive destinée à assurer la promotion de toute une filière. Citons par exemple celle des agriculteurs qui valorisent leur travail en choisissant d’ultra communiquer sur les réseaux sociaux (citons par exemple les comptes twitter de Denis Beauchamp ou Etienne Agri) des bouchers « super-star » (comme Yves-Marie le Bourdonnec ou les soeurs Bach à Brive) ou encore avec des initiatives plutôt originales comme le mouvement des « filles à Côtelette ».
Moins mais mieux
Comme le relève Bruno Parmentier, économiste et spécialiste des questions alimentaires, cette situation peut être comparée à celle du vin dont la consommation n’a jamais cessé de baisser en France. Dans les années 1950, nous buvions 140 litres de vin par an et par habitant. Aujourd’hui, nous n’en sommes plus qu’à 40 litres. Les consommateurs réguliers de vins sont passés de 51% en 1980 à 16% aujourd’hui. Enfin, les non-consommateurs étaient 19% en 1980 ; ils sont aujourd’hui plus de 33%. Mais entre temps, le marché a muté. Fini le vin de table quotidien que nous coupions avec de l’eau, le milieu viticole a travaillé sur une montée en gamme et une valorisation de l’offre qui a permis à toute une filière de se réinventer. Nous buvons moins mais nous buvons mieux. Et ce mouvement se poursuit encore aujourd’hui avec toute une nouvelle génération de vignerons travaillant les vins dits « natures ».
Le flexitarisme comme argument de la filière viande
D’ailleurs, la filière viande a déjà intégré la question du flexitarisme de façon extrêmement habile. Contre toute attente, la filière viande réussit à surfer très habilement sur cette menace en en faisant même un argument de communication. L’interprofession signe en effet une campagne intitulée « Naturellement flexitariens » dans laquelle elle prône, non pas la quantité, mais la qualité (le positionnement de la filière française). Bien joué !
Les « boucheries éthiques » plus trendy qu’un pop-up store
Signe des temps, aux Etats-Unis, berceau de nombreuses tendances alimentaires souvent extrêmes, on apprend que les «boucheries éthiques» (d’animaux élevées uniquement dans des pâturages) sont partout et en passe de devenir plus trendy qu’un pop-up store » selon Slate.Comme si entre les excès de la consommation de masse et le veganisme sectaire, une troisième voie étant en effet possible, permettant au passage une meilleur valorisation.
C’est donc une véritable stratégie de montée en gamme qu’orchestre aujourd’hui la filière française. Elle s’exprime à travers le développement de l’offre à labels (Label Rouge, Bleu Blanc Cœur, Bio…) prenant en compte bien entendu le côté gustatif mais aussi les aspects éthiques (juste rémunération des éleveurs), environnementales ou encore de bien-être animal. Interbev, le syndicat de la viande, s’est d’ailleurs fixé comme objectif que 40% de la production de viande rouge française soit labellisée.
Le consommateur a également une part de responsabilité
Si la filière française s’oriente vers la qualité, on peut penser que d’autres pays garderont le créneau de la viande low-cost, celle qui ne coûte pas cher mais dont on ne maîtrise que peu de garanties. Cette incitation à manger moins de viande doit nous amener à privilégier, plus que jamais, en tant que consommateurs la viande de filière française (enfin encore une fois pour ceux qui le souhaite).
S’il est relativement facile de la connaître dans la grande distribution ou dans les boucheries (la législation de 2016 en vigueur oblige les supermarchés et les boucheries à indiquer l’origine de leurs produits à base de viande de bœuf), ce n’est pas forcément toujours aisé de décoder l’information dans le domaine de la restauration (restaurants, cantines…). Or c’est pourtant dans ces circuits que les origines sont majoritairement hors France. Si 75% du bœuf et 55% du poulet que nous consommons à domicile sont d’origine française, les chiffres de la consommation hors-domicile sont inversés. En effet, 66% de la viande de bœuf et 70% du poulet y serait importées – un véritable paradoxe (source : Trop de viande importée dans nos cantines et entreprises).
Là encore, un principe simple : si aucune origine n’est mentionnée, cela signifie certainement qu’elle n’est pas française. Un récent décret, présenté par le ministre français de l’Agriculture, Didier Guillaume, et la secrétaire d’État à l’Économie, a été déposé en ce sens. Si il est adopté, il obligera tous les établissements du secteur de la restauration à indiquer à leurs clients la provenance de tous leurs produits carnés et ce dés l’année prochaine.
L’origine France reste plus difficile à décoder dans la restauration
Enfin, il faut aussi se méfier des vendeurs de médailles, une stratégie vieille comme le monde. Elle consiste, pour un distributeur, à aller acheter des vaches d’exceptions à prix d’or lors d’un simulacre de ventes aux enchères. En s’exhibant fièrement, par exemple lors d’un salon de l’agriculture, ces belles bêtes et leurs ribambelles de médailles permettent d’associer son image avec le made in France tout en continuant potentiellement de vendre, le reste de l’année, des produits d’importation. L’image d’une enseigne ne suffit pas, il faut plus que jamais réapprendre à lire les étiquettes.