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Food & Fashion sont deux secteurs pouvant sembler éloignés, qui sont toutefois tous deux animés par un cœur commun : le plaisir !
Je vous invite en 3 épisodes à répondre à cette question : comment, par une approche en regards croisés, identifier les impasses et les pistes inspirantes de part et d’autre pour plus de durabilité (plus responsable, mais aussi plus désirable) ?
Julie Bigot
Acheter une tablette de chocolat ou une robe, rien à voir ? Détrompez-vous !!
Au-delà de l’enjeu évident de la surconsommation de chocolat pour rentrer dans sa robe, ces deux secteurs que sont la Food & la Fashion sont cousins. Pour commencer, ils sont guidés par un moteur commun : le plaisir ! Bien qu’il soit un peu simpliste de résumer la consommation à cette seule notion, il faut pourtant bien se rendre à l’évidence : de manière générale, nous sommes prêts à faire quelques efforts, mais sans jamais rogner sur notre plaisir.
Une différence de taille cependant pose des enjeux très contrastés entre alimentation et mode. Nos achats alimentaires sont « de première nécessité », nous avons besoin de manger pour vivre. Le rythme de consommation alimentaire est quotidien, là ou en mode la moyenne est de : 3,7 achats par an. Par ailleurs, la part dans le budget des ménages est très différente puisqu’en moyenne les Français dépensent 18,1% de leur budget en alimentation, boissons et tabac, contre 3,2% en habillement et chaussures (Chiffres Insee 2021).
Dépense de consommation des ménages par fonction. Source : INSEE.
Ces contrastes permettent une analyse en miroir de ces deux secteurs qui s’apportent chacun tant en pistes positives à explorer, qu’en risques à éviter.
L’enjeu actuel de nos économies étant de se développer dans une démarche durable, de s’engager activement dans l’objectif zéro carbone porté par l’Europe, il est intéressant d’observer les ponts et inspirations à piocher de part et d’autre pour avancer en ce sens et identifier les impasses.
S’il n’est pas nécessaire de rappeler l’impact de l’intensification de l’agriculture et l’industrialisation alimentaire dans la dégradation de l’environnement, le secteur de la mode a lui aussi son histoire, et son impact.
LA MODE TROP GOURMANDE !
La spirale de la surconsommation : petite histoire d’une catastrophe annoncée
Les années 70, 80 ont vu fleurir des enseignes françaises accessibles comme Kiabi (1er magasin 1978), Camaïeu (1er magasin 1984) à l’ambition vertueuse d’offrir une mode accessible à tous. Puis dans les années 90, les enseignes Zara, H&M sont venues les concurrencer en accélérant le rythme de renouvellement des collections et en baissant les prix. Ces derniers n’ont cessé de dégringoler avec l’arrivée d’acteurs comme Primark (2012 en France) ou plus récemment les pure player Shein ou Bonprix. Cette guerre du petit prix permise par la délocalisation de la production a entraîné une surconsommation textile. En 2019 on achète 2 fois plus d’articles textile qu’en 1983.
La délocalisation a eu des conséquences désastreuses au niveau social et santé dans les pays producteurs, même si elle a permis l’émergence de certains pays grâce au développement de l’activité économique. Mais à quel prix ? Les scandales de travail d’enfants, des Ouïghours et de l’effondrement du Rana Plaza en sont les témoins.
Source : OXFAM, livre blanc Fast fashion : Impacts, alternatives & moyens d’agir.
Malgré ces scandales, la Fast fashion n’a cessé de progresser ces 20 dernières années.
Vous pensez peut-être qu’il ne s’agit que d’une petite part de marché ? Et bien non, la croissance des marques de fast fashion est exponentielle. Shein se bagarre avec Kiabi la 1ère place en volume sur le marché depuis 2021.
On peut aujourd’hui trouver la même robe (au détail près) chez Maje, Sandro, Claudie Pierlot, Zadig & Voltaire ou même Sézane au prix de 200€ (voire plus) et à 10€ chez Shein. Impossible de comprendre la valeur des choses, le consommateur a le sentiment de toujours se faire avoir sur le prix et de pouvoir payer moins cher. Les promotions s’enchaînent, seule la vente à perte est réglementée et autorisée uniquement en période de soldes dont les dates sont imposées.
Source : Benedict Evans – Google Trends – 2021
Sans être parfaitement identiques, faites l’exercice de rechercher « robe fleurie jaune » dans votre moteur de recherche, vous trouverez des résultats surprenants :
Les Robes Shein étant en prix de départ inférieur à 15€, 85% de réduction ??? vous imaginez ?
Bien sûr le sujet est complexe, il reflète à la fois une non perception de la qualité par le consommateur qui ne sait pas toujours évaluer une qualité de matière, de finition, de coupe; mais aussi un abus, des marques de « luxe-accessible » qui vendent des produits de faible qualité avec des marges très confortables et à l’opposé le même produit vendu à très bas prix, car avec des marges très faibles, des volumes très élevés et une éthique de production parfois douteuse.
Selon l’Insee, la part en valeur des dépenses en habillement dans le budget des ménages français a été divisée par 2 entre 1960 et 2015. Quand on sait que le volume de pièces achetées a doublé entre 1983 et 2019, cela donne une idée de la valeur à la pièce !
Pour repère, en 1980 une paire de basket coûtait 2h de temps de travail, en 2015 ce n’est plus que 1 heure.
Cette spirale infernale a conduit à une véritable hécatombe des marques de textile. Seuls le luxe-premium et les très low cost s’en sortent. Cette chute s’est accélérée avec la crise sanitaire et le caractère non essentiel du secteur. La consommation textile a ralenti de manière durable, ralentissement accentué par l’inflation actuelle.
Source : Le Progrés
En 2022 : à la question « en général je choisis mes produits en fonction du prix » la réponse est oui en alimentaire pour 58,3% et en Prêt-à-porter 65%. Quels modèles de marque et donc de consommation veut-on voir survivre ?
Cette dérive de perte de valeur est-elle évitable dans l’alimentaire ? La délocalisation massive de la filière textile en étant la principale cause (75% des produits textiles – habillement & chaussures sont importés), existe-t-il un risque pour le secteur alimentaire (20% de notre alimentation importée) ? Premier épisode d’une série en 3 actes.
#1 – ÉVITER LA GUERRE DES PRIX en FOOD ? TRANSPARENCE & INFORMATION !
Il est possible d’éviter cette perte de valeur subie par le textile, avec un discours pédagogique transparent et sincère. En mode, des initiatives intéressantes sont à noter, avec des marques engagées dans cette voie comme Maison Standard, Balzac ou VEJA. La transparence est devenue le nouveau cool ! Les marques accessibles s’y mettent également, la baisse des prix ayant atteint sa limite et une augmentation des couts des matières premières et de l’énergie obligeant ces dernières à augmenter leurs prix.
Le précurseur en fashion de la transparence poussée au bout du concept c’est VEJA. Le constat de départ 70% du prix d’une basket vient des coûts de publicité et 30% seulement aux matières premières et à la fabrication du produit, en 2005 la marque est lancée elle supprime les couts de publicité et choisi de réallouer les 70% de coût au sourcing, à la rémunération des producteurs, fabricants, etc. toute la chaîne est passée en revue pour être plus vertueuse, et équitable, la transparence étant le fil conducteur du modèle.
Projet | VEJA (veja-store.com)
Sur son site VEJA donne accès aux devis, aux politiques de gestion des substances chimiques autorisées pour sa marque, aux certificats de labélisation de ses partenaires etc. en toute transparence.
Cette tendance à la transparence et cette envie de savoir du consommateur sont une opportunité, particulièrement pour la Bio qui a des explications à donner pour permettre de comprendre son coût supérieur (pas toujours) et les atouts santé, durabilité, éthique de son approche. D’autant qu’en cette période inflationniste, la Bio devrait moins subir les augmentations de prix, n’ayant pas à intégrer l’augmentation des produits chimiques que le conventionnel devra supporter, l’écart pourrait potentiellement se réduire.
Le recul du Bio aujourd’hui est en grande partie dû au fait de ce manque d’information, c’est pourtant un contenu riche, sincère et pédagogique qui permet de démontrer sa différence, son engagement et apporte de la clarté dans les offres proposées pour aiguiller le consommateur dans ses choix. Ceux-ci sont perdus parmi tous les labels et marquages proposés aujourd’hui (label rouge, AOP, Bio, nutriscore, HVE, zéros résidus de pesticides…), ils se tournent vers les plus petits prix associés à un label leur semblant fiable sans réussir à éviter les discours marketing.
La food globalement aurait tout intérêt à développer les contenus informatifs pour parler de ce qui intéresse les consommateurs et motive leurs achats : origine culture & production, transparence sur la structure des prix, valeur nutritionnelle etc.
Elle pourrait transmettre l’intérêt pour la santé d’une alimentation de qualité, être une aide au pilotage de son budget alimentaire en consommant plus de végétaux, moins de viande, moins de produits transformés, plus de produits bruts et donc de cuisine maison.
Le distributeur en circuit court À l’ancienne, nous explique avec humour les dessous de notre système agricole et son histoire.
Informer et instruire au-delà de seulement partager ses valeurs et son approche de marque, une dimension citoyenne de la marque qui peut intéresser.
À l’ancienne communique sur la transparence de ses prix :
La Fourche Bio quant à elle, communique sur l’aide au budget / les économies pour ainsi offrir la Bio au plus grand nombre et accompagner le consommateur.
La Fourche Bio – Instagram
En textile les attentes sont moins fortes aujourd’hui même s’il est tout aussi difficile de s’y retrouver, éviter la confusion de multiplicité des infos serait un enjeu clef pour le secteur. Espérons que l’affichage environnemental en cours d’élaboration par des acteurs du secteur textile et l’ADEME pour répondre à l’engagement européen soit une réponse.
Celui-ci vise la transparence via une note sur chaque produit permettant de mesurer son impact sur de multiples critères : émission de GES, impact biodiversité etc.
Affichage testé par Camaïeu et intégré sur ses fiches produits sur le site web.
En parallèle la marque a travaillé en 2022 avec Bonobo, Décathlon et Tape à l’œil sur un projet de marquage commun.
Chaque marque a testé une version de marquage différente avec étude de compréhension et d’impact de chacune dans le but d’aboutir à un marquage commun optimisé pour le secteur et validé par l’ADEME.
Les choses avancent, notamment avec la nouvelle loi AGEC, en vigueur depuis le 1er janvier 2023, qui impose aux grandes marques textiles (plus de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires) d’indiquer sur leurs étiquettes l’origine géographique des différentes étapes de fabrication des produits (tissage, teinture & confection), mais aussi la présence de microplastiques et substances dangereuses, la part de matière recyclée et la « recyclabilité » du produit.
Cette transparence serait bienvenue en alimentaire, elle est en partie obligatoire avec les estampilles sanitaires sur les produits animaux par exemple, mais difficilement lisible pour le consommateur.
Le Collectif En Vérité regroupant déjà plus de 60 marques, s’emploie à le structurer en s’appuyant sur 4 critères clefs : l’impact environnemental, l’origine, les additifs et la qualité nutritionnelle et le rendre obligatoire pour éclairer les choix des consommateurs.
Une réponse possible, qui concerne d’ailleurs Food et fashion : le travail mené sur le score environnemental que le gouvernement souhaite mettre en place dès l’année prochaine sur les produits alimentaires et textile.
Il y a urgence ! lorsque l’on voit qu’aujourd’hui (comme en textile) que le discount sait créer de la désirabilité pour créer de la fidélité. (source : ecommercemag.fr – Les marques discount alliées du quotidien des Français. Étude du cabinet .becoming).
Source : Cahier de tendances Food Paradoxa
Pas moins de 90% des Français fréquentent les enseignes discount, dont Lidl (74%), Action (61%) et Aldi (40%) et 64% leur sont fidèles (au-delà des classes sociales).
Le rapport qualité-prix est le constituant n°1 de l’image de ces enseignes qui endossent d’autres attributs : sans artifices (32%), inclusives (26%), proches de la vie des gens (26%), agréables à fréquenter (21%).