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Le recul du marché bio questionne. La lecture des performances sur le court terme est-elle vraiment juste ? Le prix est-il vraiment l’unique frein ? Quel est le potentiel du bio en France ? J’ai décidé de donner la parole à Fabien Foulon de Retail& Detail. Cet expert en analyse marketing et en distribution alimentaire publie régulièrement via son compte Linkedin des analyses ultras pertinentes sur ce sujet. Ce que j’apprécie chez cet expert, c’est sa capacité à nous faire prendre du recul, toujours avec des arguments chiffrés et surtout sans effet de posture. Non, demain, tout le monde ne consommera pas bio, mais cette approche globale de notre Alimentation est bien loin d’avoir dit son dernier mot !
Qui es-tu ?
Je suis Fabien Foulon. J’ai un parcours dans les études marketing, en institut de sondages puis ensuite au sein de la distribution alimentaire. J’ai travaillé pendant 8 ans chez Monoprix à la direction du pôle études puis 3 ans chez Biocoop comme responsable marketing client. Depuis quelques années, je suis consultant et j’ai rejoint « Retail and Detail » en 2020 pour accompagner des enseignes alimentaires et des enseignes spécialisées.
Quelle est ta lecture des performances du marché bio ?
Le bio fait une pause avant de mieux repartir. Il faut avoir en tête que le marché français du bio a doublé de taille en chiffre d’affaires en 5 ans (entre 2015 et 2020) et c’est du jamais vu. La France a rattrapé son retard passant, ainsi de 6 à 13 milliards d’euros. Cette croissance inédite a été portée par la demande, mais aussi beaucoup par la progression mécanique de l’offre (nombre de produits proposés) en GMS et par la progression du parc de magasins spécialisés bio.
La France a connue une accélération très forte de la croissance du bio en comparaison à une croissance modérée mais durable en Allemagne.
Sur 2022, on observe une baisse de 10% vs 2021, ce qui ramène son poids au niveau de 2019. Il est cependant à noter que certains marchés sont bien au-dessus de leur niveau de 2019 avec des progressions importantes. C’est le cas du DPH (Droguerie Parfumerie Hygiène). D’autres marchés ont encore du potentiel comme la bière (le bio ne représente que 2%) ou le café.
Observe ton une évolution des profils de consommateurs ?
Nielsen IQ montre une évolution des profils entre 2022 et 2019. Alors que le bio se développe historiquement chez les familles à l’arrivée du premier enfant, on observe une baisse de sa consommation chez les familles (-6%). La part accordée au bio semble baisser sous le poids des contraintes budgétaires d’un foyer plus grand, mais, aussi car il est parfois plus difficile de poursuivre une consommation bio quand les enfants grandissent en raison de leurs attentes en termes d’alimentation.
Quelles sont les attentes consommateurs derrière le bio ?
Il y a globalement une aspiration de vie meilleure via la combinaison de différentes attentes qui sont différentes selon les consommateurs. Parmi elles : la santé, la protection de l’environnement, le goût des produits mais aussi le bien-être animal ou encore l’éthique sociale.
Le prix est-il l’unique frein à son développement ?
Si tout le monde consomme du bio, la part des dépenses alimentaires accordée au bio reste corrélée aux CSP (Catégories Socio Professionnelles). Le prix est donc le frein principal mais ce n’est pas le seul. Le bio est aussi confronté à des freins d’image. Il peut pâtir d’une image triste et poussiéreuse avec des produits qui ont moins de goût mais aussi souffrir d’une image parfois élitiste. Le manque de confiance est aussi un frein qui s’est développé ces dernières années comme le révèle le dernier Baromètre de l’Agence Bio auprès des non-consommateurs de produits bio.
En matière de prix justement, le bio est-il toujours vraiment plus cher que le conventionnel ?
Oui, globalement le bio est plus cher que le conventionnel et c’est bien normal car il repose sur une agriculture plus exigeante qui demande plus de soin et de travail. Le côté positif de la médaille, c’est que l’agriculture biologique est génératrice d’emplois. D’après l’Agence Bio, une ferme bio emploie 30% de main d’œuvre de plus qu’une ferme non bio.
Ensuite, il est important de préciser que les écarts de prix entre bio et conventionnel sont très variables d’une catégorie à l’autre et selon les circuits. ll y a quelques semaines, j’ai analysé les relevés de prix de France Agrimer sur 6 fruits et légumes vendus en vrac. Et pas des moindres : carotte, poireau, pomme de terre, banane, orange et pomme. Bilan des courses : seulement 13% d’écart-prix entre les fruits et légumes BIO des magasins bio et les fruits et légumes conventionnels des grandes surfaces.
Le bio a-t-il atteint un plafond de verre ?
Pas du tout ! Le bio est confronté actuellement à une crise de sa croissance. Ce type de croissance a amené des dérives avec des produits parfois moins cleans qui ont dégradé la confiance des consommateurs et la crédibilité du label. On observe également une dilution rapide de l’état d’esprit de la bio et des phénomènes de saturation sur certaines zones de chalandise.
Pour regarder son potentiel, il faut se tourner vers des pays comme le Danemark où il pèse entre 12 et 13%. D’après moi, le marché du bio pourrait représenter entre 10 et 12% d’ici 8 à 10 ans pour la France.
La relance de la consommation du bio passera en particulier par les fruits et légumes. Au Danemark, le poids des fruits et légumes pèse 37% dans les achats bio vs seulement 15% en France.
Le bio vit une crise de croissance de son modèle mais doit faire aussi face à de nouveaux concurrents ?
Avant, le bio était tout seul sur son piédestal pour incarner les promesses santé et environnement. Aujourd’hui, on observe une nouvelle concurrence avec une offre foisonnante avec de nombreux labels, de nombreuses allégations et même le nutriscore.
On note également une concurrence en termes de circuits avec l’apparition et le développement des EAP (Épiceries Alternatives de Proximité) qui représentent 300 millions d’euros de chiffre d’affaires. Ces magasins qui n’existaient quasiment pas il y a 5 ans sont un peu à la bio ce que la bio était à la grande distribution il y a encore 10-20 ans : à savoir des circuits alternatifs, à la fois dans leur proposition et dans leur état d’esprit. Ils séduisent des consommateurs en recherche d’authenticité qui reprochent à certaines enseignes d’être devenues trop lisses et trop marketées à force de vouloir accueillir tout le monde.
Certains magasins réussissent-t-ils à se démarquer ?
Je pense aux magasins « BIOCOOP Le Chat Biotté ». Ils s’agit de trois points de vente localisés entre Saint-Malo, Rennes et la baie du Mont Saint Michel : le premier est situé sur la commune de Combourg, le second sur Dol-de-Bretagne et le dernier à Tinténiac. Ces magasins ont réussi à trouver cet équilibre entre ce qu’apporte l’enseigne Bioocop tout en restant suffisamment sobre pour maintenir le côté authentique.
Bio de masse a–t-il un sens ? Peut–on massifier un modèle vertueux ?
Je ne suis pas certain. A moyen terme, la consommation de bio ne pourra pas être majoritaire. D’après moi, le rythme de croissance pourrait atteindre 5 à 10% par an, ce qui équivaut au rythme avant la grande accélération. Ce sera une croissance moins effrénée qui ne nuira peut–être moins au déséquilibre entre production et débouchés que nous avons vécu ces derniers mois.
Quelle est ta vision de l’évolution de la distribution et des offres bio :
Côté enseignes, il y a peut-être eu trop de convergence et d’uniformisation. Chacun doit maintenant reprendre une route spécifique. Les enseignes bio vont devoir faire des choix à travers des positionnements spécifiques pour répondre à la fragmentation de la consommation et la diversité des attentes. Pour moi, il y aura d’un côté le bio généraliste de la grande distribution, et d’un autre côté un bio de spécialistes mais avec des positionnements plus différenciés. Par exemple on a déjà les spécialistes hyper engagés comme Biocoop ou Satoriz, les spécialistes access comme So bio ou le bio urbain avec Naturalia. Les autres enseignes ou les nouvelles enseignes devront absolument trouver leur propre positionnement pour se démarquer.
Côté marques, le bio questionne également. Si certaines marques nationales de GMS portent plutôt bien le bio, certaines marques de grands groupes questionnent davantage. Sans rentrer dans le détail, je dirais qu’il vaut mieux suivre l’exemple des Deux Vaches (Danone) que celui de Chocapic (Nestlé).
Peux–tu nous citer des initiatives qui méritent un éclairage ?
Local en bocal à Avignon. Ils récupèrent des fruits et légumes invendus, en écarts de tri ou en surplus de production et les transforment en soupes, compotes ou légumes cuisinés. C’est également une entreprise d’insertion recrutant des personnes elles-mêmes « cabossées » par la vie. À travers cet exemple, on note une grande cohérence avec l’esprit et la démarche globale de la bio. Il s’inscrit dans une mouvance de « bio sociale », avec une véritable authenticité portée entre autres par l’incarnation sincère de sa fondatrice.
J’aime bien aussi la marque « Autour du Riz », une marque bio très engagée. Je trouve cette marque intéressante parce qu’on parle de produits bio qui viennent de l’autre bout du monde, mais qui ont un très bon bilan environnemental et s’inscrivent complètement dans la philosophie de la bio : le respect de l’homme et de la nature :
Une de leurs dernières innovations : un riz sobre en eau grâce à de nouvelles techniques de travail des sols. Et au final, un Planet Score A y compris sur le climat malgré une provenance lointaine.
Enfin, j’aimerais aussi citer le magasin Le Koeur à Quimper. Il s’agit d’un magasin unique en France, qui a su se réinventer en devenant aussi un tiers-lieu et montrer que l’on peut être performant en n’étant pas seulement un lieu marchand.
Peux–tu enfin nous recommander une lecture ou une vidéo particulièrement pertinente sur le sujet de l’agriculture biologique ?
Sans hésiter, l’émission sur la web TV « la bio à bloc » (créée par Simon Le Fur) avec pour invité Claude Aubert, un pionnier de l’agriculture biologique :