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Gastronomie : portraits d’iconoclastes. Ce sont des chefs, des éleveurs, des producteurs… Leur point commun ? Connues ou non, ces personnalités ont fait des choix forts, audacieux pour exercer voire réinventer leur métier. Des parcours à découvrir dans notre série de portraits, autant de signaux faibles d’aujourd’hui qui marqueront peut-être la gastronomie de demain.
Pas d’image travaillée, pas d’investisseur, pas de restaurant à lui. Premier vainqueur du télécrochet culinaire de M6 en 2010, Romain Tischenko cultive la flamme aux fourneaux en cuisinant pour des évènements en Bourgogne et à l’étranger. Sa liberté en bandoulière.
Ràde pour « restaurant à demeure ». C’est le nom choisi par Romain Tischenko et sa compagne Ioulia Gourieva pour leur nouvelle activité de chef et sommelière à domicile. Après dix ans de vie parisienne à la tête du Galopin et de La Cave à Michel sur la place Sainte Marthe (10e arr.), les deux tourtereaux se sont posés en Bourgogne. « On devait partir au Mexique pendant six mois dans la foulée de la vente du Galopin, en juin 2020, mais ça a été retardé par le covid. On s’est retrouvé sans rien. Un copain vigneron, Frédéric Cossard, nous a proposé de le rejoindre pour les vendanges. On cuisinait le midi pour l’équipe de cuverie avant de déguster l’après-midi », relate Romain Tischenko. Passionné de vin, le couple prend plaisir à découvrir les secrets de vinification maison et les alentours. L’idée d’une installation en Côte-d’Or fait son chemin. « Entre les domaines, les producteurs, l’attractivité touristique de Beaune, il y avait clairement un marché à prendre ». Bien lancé par un mois de restauration éphémère chez un vigneron, le tandem tisse petit à petit son réseau dans le monde du vin. Des conciergeries de maisons d’hôtes font aussi appel à leurs services. Un modèle malin au regard des difficultés de recrutement actuelles dans le milieu de la restauration.
Si la philosophie de travail reste la même avec une cuisine épurée servie par des produits de grande qualité et des vins sans intrants, leur mode de vie change du tout au tout. « Autour de Beaune, tu as l’impression qu’il n’y a que des vignes. Dès que tu t’écartes un peu, des paysages presque montagneux apparaissent, des prairies, des forêts. Le village où on habite culmine à 400 mètres », savoure le Normand d’origine. Une bouffée d’air frais qui permet au tout premier vainqueur de Top Chef, las de dix années à la tête de son restaurant, de renouer avec le plaisir simple d’exercer son métier. « Je l’ai assumé plus ou moins mais je n’avais plus envie. Il fallait qu’il se passe quelque chose. Ici, notre cuisine s’adapte vraiment aux vins et à la disponibilité des produits, on ne peut pas pondre des menus un mois à l’avance. C’est vraiment du sur-mesure. » Pas de routine, pas de communication à outrance. Loin de la pomme médiatique dans laquelle bon nombre de participants de Top Chef ont croqué pour faire décoller leur carrière, Romain Tischenko se vit plus que jamais comme un artisan globe-trotter, les pieds ancrés dans la terre et en cuisine : « Je n’aurais pas su mener une carrière digitale, il aurait fallu que je m’entoure et je pense que ça m’aurait soûlé ».
Ni instagrammable – « je me marre quand je vois des stories de chefs de palaces de 50 ans » – résolument migrateur bien qu’« admiratif des gars comme Stéphane Jégo qui ont leur établissement depuis des années et conservent cette envie de bien et de bon », Romain Tischenko fonctionne à l’instinct et au plaisir. « Le fait de bosser à deux permet de faire de vrais restaurants éphémères et de partir à l’étranger pendant longtemps. On n’a pas de fonds de commerce, pas de crédit. Si on veut monter un projet dans le Jura du jour au lendemain, c’est possible », assure l’ancien élève de William Ledeuil. Culinairement, sa cuisine sans fioritures requiert peu de mise en place et s’adapte à n’importe quelle escapade. « Une belle poularde de Bresse, un bon jus rôti et une pomme darphin, c’est aussi bon qu’une volaille avec des kumquats et un jus à la verveine », pose le trentenaire désormais adepte des poissons de Saône qui, à l’expérience, sait aussi se fournir en bons produits une fois à l’étranger.
La suite de l’histoire s’écrira vraisemblablement dans cette tension entre l’ici et l’ailleurs, autour d’un lieu de vie pensé pour pouvoir accueillir et voyager au gré des envies et des opportunités. « On aime bien se déplacer mais on voudrait aussi un joli lieu pas trop loin de Beaune pour créer une table d’hôtes qu’on pourrait ouvrir sur demande, un lieu un peu couteau suisse », image le chef. En attendant le prochain restaurant éphémère, sûrement quelques mois en Indonésie, il continue de sillonner la Côte-d’Or, sa glacière mobile de 90 litres branchée sur l’allume-cigare. À l’intérieur, le bonheur à l’état brut.
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