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La grande distribution concentre l’écrasante majorité de nos achats alimentaires. Elle est aussi le premier annonceur publicitaire en France. Son pouvoir d’influence sur les questions de transition alimentaire est donc considérable. Pourtant, Réseau Action Climat, au travers d’une étude intitulée « L’heure des comptes pour les supermarchés », pointe son manque d’actions majeures sur le sujet. Selon le collectif d’associations, il faut en effet arrêter la focalisation excessive sur la responsabilité des consommateurs et sur les engagements volontaires des entreprises, et plutôt engager la grande distribution, tout comme les pouvoirs publics.
70 % des achats alimentaire des Français se font dans des enseignes de la grande distribution, qui réalisent 85 % du chiffre d’affaires du secteur du commerce de détail alimentaire.
La grande distribution est également en France le 1er secteur publicitaire avec Lidl et E.Leclerc, respectivement premier et deuxième en matière d’investissements (source BUMP – 2022). On comprend dès lors le pouvoir d’influence énorme de ce secteur sur notre consommation.
La standardisation des offres, mais aussi les crises économiques successives ont contribué à faire du prix la variable d’ajustement majeure sur laquelle les enseignes se confrontent à grand renfort de punchlines.
Lidl, qui promet depuis des années « le vrai prix des bonnes choses », fait désormais de l’achat discount la nouvelle hype. Pour preuves, ces objets devenus cultes et les partenariats avec des stars. Mais en message de fond, l’enseigne communique une idée puissante, celle que le vrai prix est en fait le prix le plus bas. À observer les performances du discount sur les dernières périodes, cela semble plutôt bien infuser.
Dans cette publicité de E.Leclerc, un bébé explique comment en achetant du Éco+, il va permettre à son père de s’acheter une belle chemise. L’alimentation se trouve ainsi reléguée au statut de simple variable d’ajustement.
Les enseignes exploitent ainsi tout le paradoxe de la consommation actuelle, qui oscille entre bonnes intentions de consommer différemment (pour notre santé, pour les agriculteurs, pour notre planète, pour notre conscience…) et réalité de nos comportements pas toujours raccords. On touche même à la dimension symbolique des choses, comme en témoigne cette communication sur la baguette de pain chez E.Leclerc.
En dehors de quelques envolées émotionnelles ou éco-responsables, comme ici avec Intermarché ou E.Leclerc, le jeu concurrentiel entre les enseignes est tel qu’on en finit toujours par revenir à la castagne autour du prix.
Partant de ce constat – et à l’heure où les enjeux de la transition vers une alimentation durable sont de plus en plus pressants (montée de la précarité alimentaire, développement de l’obésité, crise de l’amont agricole, enjeux climatiques) – le Réseau Action Climat publie une étude intitulée « L’heure des comptes pour les supermarchés ».
Réseau Action Climat fédère 27 associations nationales (associations généralistes ou spécialisées sur certaines thématiques comme les transports, l’énergie, la solidarité, etc.), ainsi que 10 associations locales et régionales, comme, par exemple, Care France, Action contre la faim, France Nature Environnement, Greenpeace, les Amis de la Terre, Oxfam France, le Secours Catholique-Caritas France ou encore VWF.
À travers cette étude, RAC démontre le rôle capital de la grande distribution dans la transition alimentaire à travers sa puissance de frappe au cœur du système entre l’offre et la demande, mais aussi en tant qu’acteur n°1 de la publicité. (source : RAC)
RAC estime que dans le contexte actuel, compte tenu de son poids et de son pouvoir d’influence (sur les offres proposées, l’information sur les produits, la mise en valeur des produits en rayon, les politiques de marges et de prix ou encore les campagnes de communication), la grande distribution a une responsabilité majeure dans la transition alimentaire.
Le contenu de cette étude porte sur l’évaluation de 8 grandes enseignes de la grande distribution à travers une quarantaine d’indicateurs répartis en 3 grandes catégories :
- La transparence des enseignes sur leurs pratiques. Les indicateurs-clefs concernent les émissions de gaz à effet de serre, la contribution à la déforestation importée et la part des viandes et produits laitiers labellisés dans les ventes des enseignes.
- Leurs engagements et plans d’actions. Les engagements concernent par exemple la réduction des émissions de gaz à effet de serre des enseignes d’ici 2030, la diminution des ventes de viande et de produits laitiers issus d’élevages intensifs, la garantie de non contribution à la déforestation importée et l’amélioration de la rémunération et de l’accompagnement en faveur des éleveurs engagés dans la transition.
- La promotion d’une alimentation durable. Cette catégorie inclut toutes les actions que les enseignes peuvent réaliser pour aider les consommateurs à avoir une alimentation plus durable, c’est-à-dire à consommer « moins et mieux » de produits d’origine animale et à adopter une alimentation plus végétale.
Pour le collectif, « il ne s’agit pas de mettre fin à l’élevage et d’arrêter de la manger de la viande, mais de réduire, dans le même temps, les quantités produites et consommées, et de privilégier la qualité et la durabilité des produits. » Dans cette étude sont reconnues filières de qualité et de durabilité, non seulement le bio mais également le Label Rouge et le label Bleu Blanc Cœur.
Pour les résultats, ce n’est pas vraiment glorieux, puisqu’aucune des enseignes n’obtient la moyenne, raison pour laquelle RAC leur formule une série de demandes :
La grande distribution a bien contribué dans les faits à développer l’offre bio, qui occupe désormais de vrais espaces en magasin, ou encore les offres végétales (en particulier dans les plats cuisinés), mais, dans la réalité des faits, ces offres sont beaucoup moins performantes d’un point de vue strictement économique. Elles sont plus chères à l’achat (à produire mais aussi car leur niveau de marge plus élevée est destiné à compenser des volumes plus faibles) et donc peinent à percer dans un environnement ultra compétitif. De plus, les consommateurs sont de plus en plus méfiants envers les labels et les promesses sur-marketée en tout genre. Preuve à l’appui, ils se rabattent sur le local, jugé plus crédible.
De plus, l’intensité concurrentielle et les tensions sur le pouvoir d’achat à court terme entraînent l’ensemble des acteurs dans la fuite en avant vers les prix toujours les plus bas, précipitant un peu plus la perte de valeur d’un système tout entier. C’est la raison pour laquelle le collectif en appelle aux pouvoirs publics pour prendre part à ce chantier, en leur demandant de mettre fin à leur focalisation excessive sur la responsabilité des consommateurs, mais aussi sur les engagements volontaires des entreprises, en prenant un certain nombre de décisions :
Avec cette étude, le collectif pose la question des leviers à utiliser pour accélérer la transition alimentaire dont le premier est sans doute l’accessibilité financière. Mais cela ne fait pas tout.
Sur ces sujets complexes, la connaissance est certainement le levier de la transition alimentaire le plus puissant, même si c’est certainement celui qui demande le plus de temps. Il concerne le sujet de l’éducation à l’alimentation dès le plus jeune âge, mais en effet aussi le sujet de la transparence.
RAC pose également la question de la promotion des modèles plus vertueux à privilégier. Pour le collectif d’associations, il s’agirait non seulement du bio, mais également du Label Rouge et de la filière Bleu Blanc Cœur. Est-ce vraiment les seuls ?
Cette focalisation nécessaire sur l’influence hors nomes de la grande-distribution ne doit pas nous faire oublier que sur ces sujets très complexes, la responsabilité est avant tout collégiale et nous implique tous !