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S’il y a un produit alimentaire qui assume sa diversité, c’est bien le vin. En effet, on présente souvent le vin comme un produit issu de son terroir – à chacun d’aller apprécier ou non les saveurs, les styles, les couleurs. Comme si c’était en fait plus au consommateur de s’adapter au produit que l’inverse.
Pour autant, ce paradigme évolue dans un contexte où le consommateur de vin devient plus averti, plus exigeant et international. Il est aujourd’hui de plus en plus difficile de ne pas tenir compte de ses goûts et des tendances pour concevoir les vins sans pour autant renier leurs identités.
Pour explorer ce sujet, j’ai convié Olivier Dauga, créateur de la société « Le Faiseur de Vin ®». Celui qui conseille depuis trente ans vignerons, coopératives, marques et enseignes en France et à l’étranger pour élaborer les meilleurs vins possibles, tout en restant en adéquation avec les goûts des consommateurs, défend une vision humaniste et respectueuse de la nature du vin. Il livre à StripFood les tendances majeures de consommation, le changement de vision des nouvelles générations, ainsi que les indispensables clefs pour permettre au secteur de se réinventer et rapprocher davantage ceux qui font et ceux qui boivent. Inspirant !
Cette interview fait écho à la contribution de Romain Leycuras (à découvrir à la fin de cet article), qui nous éclaire en parallèle sur la crise des vins de Bordeaux, syndrome d’un éloignement entre le produit et ses consommateurs.
Stéphane Brunerie
Qui êtes-vous, Olivier Dauga ?
Né à Libourne, issu d’une famille de vignerons depuis plusieurs générations, j’ai été façonné par le sport de haut niveau (le rugby) depuis tout petit. On découvre très tôt chez moi quelque chose de différent, mon nez ! Après des études agricoles, je décide de me réorienter vers le monde du vin et pars en apprentissage à Cognac chez Martel. En 2000, je décide de créer ma société à Bordeaux, qui s’appellera « Le Faiseur de Vin® », traduction littérale et bien française de winemaker.
Vous prônez une approche différente de la viticulture. Quelles sont vos influences ?
En France, on fait traditionnellement du vin et on essaie de le vendre. Côté anglo-saxon, on commence par étudier les besoins du marché et on y apporte une réponse. C’est vraiment ce que j’ai réalisé lors de mon apprentissage du métier en Australie. Cela m’a vraiment forgé et surtout forcé à me dépasser.
Ensuite, j’ai réalisé très tôt que nous avions besoin de la nature, mais que la nature n’avait pas vraiment besoin de nous. J’ai alors compris que la protection de l’environnement serait l’enjeu numéro un et que ce pourrait même être un véritable atout pour donner une typicité aux vins. Je défends donc avant tout une vision sur le long terme du vin.
Dans cet article, nous prenons l’exemple des vins de Bordeaux pour illustrer un éloignement entre les producteurs et les consommateurs. Vous qui connaissez très bien ce vignoble, pouvez-vous nous parler de la situation des vins de Bordeaux à l’heure actuelle ?
Dans les années 1980, le journaliste américain Robert PARKER a réussi à donner ses lettres de noblesse à Bordeaux, mais il a aussi contribué à l’enfermer dans un véritable carcan. L’offre n’a cessé alors de se standardiser en masse autour de la célèbre « note boisée » qui en fait sa véritable signature. Bordeaux a alors péché par vanité en se montrant insensible aux évolutions du marché et aux attentes des consommateurs.
J’avoue que nous sommes un peu le poil à gratter à Bordeaux, mais au fond je respecte énormément le Bordelais en lequel je crois énormément. Il y a à Bordeaux des gens qui font un travail exceptionnel : Château Marzin, Château Gros Caillou, Château Les Guyonnets, Les 3 Châteaux.
Quel virage n’a pas su prendre Bordeaux ?
Pour moi, on est à la croisée de deux mondes portant une vision totalement différente de l’univers viticole : celui des vins standard et celui des vins alternatifs (Château Marzin, Château Gros Caillou, Château Les Guyonnets…). D’un côté, nous sommes encore sur la culture de l’étiquette dans une pure tradition bourgeoise. Par exemple, dans le Bordelais, on parle des noms des châteaux, mais jamais des vignerons. Mais les temps changent. Les nouvelles générations portent un regard plus distancié envers les signes traditionnels de qualité et s’autorisent à juger davantage le vin pour ce qu’il est vraiment. Pour eux, l’intérieur compte plus que l’extérieur. De plus, l’attention portée à l’environnement ainsi qu’aux producteurs couronne le tout. Le bio et la bio-dynamie ne sont qu’une première étape vers des marchés plus courts avec moins d’intermédiaires.
Que mettez-vous en place avec vos clients pour écouter les besoins des consommateurs, tout en préservant l’authenticité des vins ?
Le vin a été traité comme un produit industriel alors qu’en fait, il s’agit d’un produit agricole simple. Mon credo ? Recréer du lien entre les hommes qui font le vin, les territoires et les consommateurs. Il faut que l’on revienne à la terre et que l’on parle plus du produit et des hommes que des notes et des classements. Franchement, on n’est plus à l’école !
Au cœur de ma démarche pour recréer cette valeur, je place les enjeux suivants :
- Retrouver et assumer son histoire de vigneron et son territoire. Nous, on travaille pour cultiver des vins avec de vraies gueules de vignerons ;
- Redevenir des vignerons, autrement dit des artisans avec un véritable savoir-faire. Par exemple, identifier des parcelles atypiques et / ou remarquables par leur exposition, leur cépage, leur environnement et les proposer aux consommateurs avec une véritable histoire différenciante. Ce sont les fameux « climats » en Bourgogne, que j’appelle les « atmosphères » dans le Bordelais et ailleurs ;
- Mettre en place des actions environnementales ;
- Construire et animer une communauté.
Le vin est important ! Il faut que ce soit bon, mais il y a aussi toutes les valeurs que l’on va mettre autour. Par exemple, les engagements écologiques et l’histoire que l’on raconte à propos d’un vin jouent énormément pour séduire. Les vignerons doivent vite évoluer, pour prendre ce virage et garantir ainsi une pérennité. Ce n’est pas si compliqué, mais il faut que ce soit cohérent. Nous avons écrit avec Romain Leycuras une première version d’une charte destinée à guider et à accompagner les vignerons, il s’agit de la Charte du Bon Sens.
On s’adresse à nous quand un produit ne se vend pas ou pour valoriser des pépites qui s’ignorent. On travaille donc à la fois sur l’adaptation de l’offre produit, pour qu’elle correspondent aux attentes des consommateurs, mais également sur son positionnement, son étiquette, sa communication et sa stratégie de distribution.
Vous qui travaillez dans d’autres régions viticoles françaises et internationales, quelles sont les tendances de consommation du moment ?
Nous allons vers moins de sucre et plus de fraîcheur. On va vers également vers des choses plus douces, autrement dit moins d’extraction et plus d’infusion. On ne cherche plus obligatoirement la couleur et, en fin de compte, je dirais qu’on fait des vins qui collent mieux à leur terroir, des vins plus vrais, moins maquillés.
Avez-vous un exemple d’une réussite marquante ?
La Provence a réussi un carton avec le rosé. Mais on pourrait également citer de belles réussites dans le Languedoc ou encore la vallée de la Loire. Prenons le cas de la Bourgogne : ils ont su rester des viticulteurs. La preuve, on parle plus de leurs noms, plutôt que de ceux de leurs vins. On a des vraies gueules devant nous et cet esprit vigneron nous rassure. Ils ont également réussi à créer du lien avec les consommateurs, en n’hésitant pas à accueillir les gens dans leurs propriétés avec l’œno-tourisme.
D’autres produits innovent toujours pour séduire. Comment le vin, lui, peut-il continuer à innover ?
On peut continuer à innover en s’appuyant sur des valeurs fortes de tradition. Il suffit de s’inspirer de ce que l’on faisait et se réinventer. C’est le cas des vins avec moins de soufre ou encore de ceux élevés en jarre. La nature est tellement belle, quand on la respecte.
Pour en savoir plus : Le Faiseur de Vin®